ENTRETIEN – Avis aux insomniaques : il est possible d’améliorer ses nuits en s’inspirant de nos ancêtres. C’est ce qu’affirme Merijn Van de Laar, docteur en sciences du sommeil et auteur du best-seller international Dormir comme un Sapiens.
En pleine nuit, sous la couette mais les yeux bien ouverts. 15 à 20 % des Français sont concernés par l’insomnie (1). Ces difficultés à s’endormir ou à se rendormir, Merijn Van de Laar les a bien connues. Ancien insomniaque, ce scientifique néerlandais et psychologue du sommeil a d’ailleurs dédié une partie de sa carrière à la recherche des facteurs psychologiques de l’insomnie. Après avoir accompagné près de 6000 patients au sein d’un centre spécialisé aux Pays-Bas, il en a tiré un constat : bien dormir ne signifie pas fermer les yeux durant 8 heures sans interruption. La preuve, selon lui : «En fin de thérapie, mes patients insomniaques avaient la sensation de mieux dormir alors même que leur temps passé endormi n’avait pas réellement augmenté. Ce qui avait changé, c’était leur rapport au sommeil».
Merijn Van de Laar en est convaincu : nos sociétés occidentales souffrent d’un perfectionnisme du sommeil, lequel s’accompagne inévitablement de stress, qui grippe le mécanisme. Pour en arriver à cette conclusion, le scientifique a mené des recherches sur les bases biologiques et anthropologiques du sommeil et a remonté le fil jusqu’aux nuits de l’Homo Sapiens. Dans son livre Dormir comme un Sapiens (2), best-seller international en cours de traduction dans 19 pays et dont la version française est parue le 23 janvier, le scientifique appelle à renouer avec des nuits plus instinctives. Autrement dit : à dormir comme un homme des cavernes.
Comment dormait l’Homo Sapiens ?
Merijn Van de Laar.- Son mode de vie influençait fortement son sommeil. Ainsi, sa journée était marquée par une activité physique intense avec des déplacements, de la chasse, du bricolage, ce qui préparait naturellement son corps au repos. Nos ancêtres dormaient à même le sol, sur des lits faits de branches, de feuilles, et ils mettaient régulièrement le feu à leur couchage pour se débarrasser des insectes. D’après les recherches archéologiques, on peut aussi affirmer que leur lit était souvent utilisé en journée, pour bricoler, par exemple, car on y a retrouvé de la sciure de bois. Enfin, le sommeil était une activité sociale : l’Homo Sapiens dormait en groupe, souvent à cinq ou six sur le même lit.
Vous assurez que nous devrions nous inspirer de son sommeil pour améliorer nos nuits. Pourquoi ?
Tout simplement parce qu’il dormait réellement mieux que nous. Des chercheurs tels que l’anthropologue David R. Samson en sont arrivés à cette conclusion en analysant les habitudes de sommeil de la tribu des Hadza, une population de chasseurs-cueilleurs vivant en Tanzanie centrale et ayant préservé des conditions de vie ancestrales. Certains restent parfois éveillés plus de deux heures par nuit après avoir été dérangés par leurs compagnons de chambrée, mais seulement 1,5 à 2,5 % d’entre eux déclarent souffrir de problèmes de sommeil. En comparaison, 20 % de la société occidentale dit souffrir plus ou moins fréquemment d’insomnie. Nous dormons pourtant en moyenne le même nombre d’heures que nos ancêtres toutes les nuits.
Alors comment expliquer que nos nuits soient moins bonnes que les leurs ?
Nous n’entretenons pas le même rapport au sommeil. Pour les premiers hommes, le réveil nocturne n’était pas un problème, au contraire, il était un avantage, celui de la survie face aux animaux sauvages et aux tribus hostiles. Une nuit interrompue ne générait donc pas de stress, qui ensuite n’alimentait pas les troubles du sommeil. Nous avons tendance à oublier qu’être éveillé la nuit est tout à fait normal d’un point de vue biologique, lorsque notre organisme est stressé ou quand notre horloge biologique vieillit. De nos jours, nous avons une obsession de la nuit parfaite, amplifiée par les réseaux sociaux. L’Académie américaine de médecine du sommeil souligne que les jeunes générations perçoivent leurs nuits comme moins bonnes que celles des générations précédentes, en grande partie à cause de ce perfectionnisme anxiogène. La plupart d’entre nous a par exemple intégré la fausse idée selon laquelle il faudrait dormir 8 heures sans interruption pour s’être assez reposé et prendre soin de sa santé. Or, le concept de la nuit de 8 heures est apparu lors de la révolution industrielle entre la fin du 18e et le début du 19e siècle, quand les syndicats se sont battus pour un meilleur équilibre de vie pour les ouvriers. On se souvient du slogan : “8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de sommeil”.
Vous rappelez aussi dans votre livre que le sommeil est culturel…
Effectivement, dans certaines cultures, on ne dort pas forcément d’une traite. Une étude menée auprès d’un groupe d’agriculteurs vivant sans électricité et sans technologie à Madagascar, et publiée en 2017 dans la revue American Journal of Human Biology, avançait l’hypothèse – chez eux – d’un sommeil biphasique. Ils se couchent vers 19h20, se réveillent vers 5h45 et vers minuit, on observe chez eux une forte période d’activités. Des nuits similaires à celles des pays occidentaux au Moyen-Âge. Les Malgaches font aussi quasiment quotidiennement une sieste d’une durée moyenne de 55 minutes. Saisir que le sommeil est flexible peut aider à nous apaiser.
En toute logique, ne faudrait-il pas aussi suivre son propre rythme de sommeil ?
Les hommes préhistoriques l’avaient bien compris et ils dormaient simplement jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin de dormir. Ils n’étaient pas pollués d’informations au sujet de leurs nuits, personne ne leur conseillait de se lever à 5 heures du matin pour être la meilleure version d’eux-mêmes. Ils étaient à l’écoute de leur biorythme personnel et je recommande à tout le monde de faire de même pour ne dormir ni trop peu, ni trop longtemps. En revanche, l’Homo Sapiens – tout comme les membres de la tribu des Hadza – respectait une certaine régularité et se couchait et se réveillait à des heures similaires chaque jour. Il a depuis été prouvé qu’un rythme de sommeil fixe favorise des nuits plus réparatrices. De plus, l’homme préhistorique adaptait son repos en fonction de ses besoins, en faisant parfois de courtes siestes de 20 à 30 minutes durant la journée.
Concrètement, comment recréer un environnement semblable au leur de nos jours ?
Il suffit de se reconnecter à ses ressentis corporels. Pour suivre son rythme de sommeil, l’exposition à la lumière joue un rôle clé : on privilégie ainsi une lumière vive le matin et en début d’après-midi pour favoriser l’éveil puis on réduit l’éclairage le soir. Une température plus fraîche le soir et la nuit nous prépare aussi à l’endormissement. Nos ancêtres étaient également plus actifs que nous : en bougeant davantage durant la journée, on accumule de l’adénosine, une substance favorisant la somnolence, tout en réduisant le stress, ce qui permet de retrouver un rythme plus naturel et un sommeil plus réparateur.
Vous conseillez également de «réguler» le temps passé au lit. C’est-à-dire ?
Rester allongé plus longtemps que nécessaire exacerbe les troubles. Le geste réduit la pression de sommeil et augmente les périodes d’éveil agité. Et si l’on a tendance à souffrir d’insomnies, c’est un cercle vicieux. Ces longues durées totales passées au lit entraînent un sommeil plus fragmenté, source d’inquiétudes, ce qui augmente la tension, empêche l’endormissement et provoque une nuit plus morcelée et des éveils nocturnes moins reposants. Si l’on est dans ce cas, il peut être bon de réduire le temps passé au lit pour limiter les périodes d’éveil agitées. A contrario, si l’on dort de façon continue et que l’on a la sensation de dormir trop peu, on peut accroître légèrement la durée totale passée allongée… À condition que nos nuits restent toujours réparatrices et que l’on se sente plus reposé en journée. À chacun de jauger ce qui lui convient le mieux.