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XVIIe – XIXe siècles
Et la France inventa l’Amérique

« Tout homme a deux patries : la sienne et la France ». On ne s’étonnera pas que l’auteur de cette citation soit l’Américain Thomas Jefferson, la France et les États-Unis ayant entretenu au cours des trois derniers siècles une relation privilégiée. Les deux républiques ont forgé leur constitution à quelques années d’intervalles, trouvant la même inspiration chez les philosophes des Lumières, et – fait notable – ne sont jamais entrées en guerre l’une contre l’autre, malgré quelques conflits larvés et des visions du monde largement concurrentes.

Cette indéfectible entente puise bien sûr ses causes dans le rôle joué par la France dans la naissance des États-Unis. On peut même dire que les Français ont largement contribué à inventer l’Amérique.

Les Français inaugurent la conquête de l’Ouest
Avec l’exploration du Mississippi menée à la fin du XVIIe siècle depuis les Grands Lacs, les Français ont été les premiers Européens à prendre pied au centre des États-Unis. Venus de l’Hexagone ou des colonies, les aventuriers français font figure de pionniers dans cette région du monde, pratiquant la traite des fourrures, en bonne entente, avec les Amérindiens.

Dès le XVIIIe siècle, les trappeurs français, dont des métis, entreprennent dans les Grandes Plaines la conquête de l’Ouest et créent les premières villes. C’est un marchand mulâtre originaire de Saint-Domingue, Jean Baptiste Pointe du Sable, qui fonde Chicago en 1770.

Plus au sud, au confluent du Missouri et du Mississippi, un riche négociant en fourrure originaire de La Nouvelle-Orléans, René-Auguste Chouteau, créé la ville de Saint-Louis, baptisée en l’honneur de Louis IX. Son neveu fondera quelques années plus tard Kansas City.

Même après le rachat de la Louisiane par les États-Unis, les explorateurs français prendront une large part dans l’avancée vers l’Ouest. Plusieurs d’entre eux, faisant office de traducteurs avec les tribus amérindiennes, participeront à l’expédition Lewis et Clark qui atteint l’océan Pacifique en 1806. Quelques années plus tard, le traiteur de fourrures Étienne Provost sera le premier Blanc à découvrir le Grand Lac Salé.

La Fayette offre l’indépendance aux États-Unis

L’intervention française dans la guerre d’indépendance américaine aura deux conséquences majeures sur l’histoire du monde : la naissance des États-Unis et la Révolution française, le coût exorbitant des opérations menées pour la première ayant largement précipité la seconde. Les deux évènements ont pour autre point commun l’implication d’un même homme : La Fayette.

Ce jeune aristocrate à la tête de l’une des plus belles fortune du royaume et assoiffé d’aventures n’a pas vingt ans lorsqu’il rencontre en secret Benjamin Franklin, venu plaider à Versailles la cause des Insurgents américains. Malgré l’opposition de sa famille, il quitte l’armée et décide de rejoindre l’Amérique pour aider les insurgés qui viennent de proclamer leur indépendance.

Dans une lettre à sa sœur, il explique son engagement : « Défenseur de cette liberté que j’idolâtre, libre moi-même plus que personne, en venant comme ami offrir mes services à cette république si intéressante, je n’y porte que ma franchise et ma bonne volonté, nulle ambition, nul intérêt particulier ; en travaillant pour ma gloire, je travaille pour leur bonheur. […] Le bonheur de l’Amérique est intimement lié au bonheur de toute l’humanité ; elle va devenir le respectable et sûr asile de la vertu, de l’honnêteté, de la tolérance, de l’égalité et d’une tranquille liberté. »

Ayant soin de tromper la surveillance de ses proches et des Anglais, il se rend dans le Pays basque et embarque avec quelques fidèles près de San Sebastian, sur une frégate affrétée à ses frais, grâce à une avance sur sa fortune. Il débarque à Georgetown le 15 juin 1777 puis se présente à Philadelphie devant le Congrès américain et revendique humblement le droit de servir comme simple soldat.

On lui attribue le grade de major général et il devient le proche collaborateur et l’ami du commandant en chef George Washington, son aîné de 25 ans, qu’il considère immédiatement comme un père de substitution.
La Fayette va témoigner au combat d’une bravoure et d’un professionnalisme bien supérieurs à ceux des volontaires américains. Le jeune marquis est blessé à la cuisse à la bataille de Brandywine puis, après quelques mois de repos, se distingue en plusieurs occasions, notamment en pénétrant au Canada avec une poignée d’hommes et en secourant 2000 insurgés assiégés par les Anglais.

Au printemps 1779, il revient en France où il reçoit un accueil triomphal, et plaide la cause de l’insurrection. Il réclame l’envoi d’un corps expéditionnaire. Accédant à sa demande, Louis XVI envoie 6 000 hommes outre-Atlantique sous le commandement du général de Rochambeau, avec le concours de la flotte du chef d’escadre François de Grasse.

L’intervention française n’est évidemment pas dénuée d’arrières pensées géopolitiques. Quinze ans après la désastreuse défaite de la guerre de Sept Ans qui l’a privé de presque tout son empire colonial, le royaume entend redorer son blason et prendre sa revanche sur l’Angleterre.

Devançant le corps expéditionnaire, La Fayette embarque le 21 mars 1780 sur la frégate L’Hermione que lui a donnée le roi et arrive à Boston le 28 avril suivant. À la tête des troupes de Virginie, il harcèle l’armée anglaise de lord Cornwallis et fait sa jonction avec les troupes de Washington et Rochambeau.

Sculpture du général de division Marquis Gilbert de Lafayette réalisée par Alexandre Falguière dans le parc Lafayette à Washington, D.C.
Les troupes britanniques sont bientôt coincées dans la baie de Chesapeake, dans l’impossibilité de recevoir des secours par mer du fait du blocus effectué par la flotte de De Grasse. C’est ainsi que les alliés franco-américains remportent la victoire décisive de Yorktown le 19 octobre 1781. Deux ans plus tard, c’est à Paris qu’est signé le traité de paix qui reconnaît l’indépendance des États-Unis.

Deux siècles après sa mort, La Fayette jouit encore aux États-Unis d’une popularité considérable. Plus de 600 lieux ont ainsi été baptisés en son honneur dont une quarantaine de villes, une montagne et un square à son nom devant la Maison-Blanche avec sa statue sculptée par Alexandre Falguière.

Une autre, œuvre de Bartholdi, est installée à Manhattan dans Union Square Park. Le Français sera même élevé à titre posthume au rang de citoyen d’honneur des États-Unis, privilège exceptionnel qui n’a été accordé qu’à huit personnalités.

Surnommé le « héros des deux mondes », La Fayette demeure le symbole de l’amitié franco-américaine. Chaque 4 juillet, l’ambassade des États-Unis en France dépose une gerbe de fleurs sur sa tombe, au cimetière parisien de Picpus, comme l’ont fait en 1917 les soldats du corps expéditionnaires conduits par le général John Pershing.

Quelques années après La Fayette, un autre Français va s’illustrer dans l’histoire des États-Unis : Pierre Charles L’Enfant. C’est durant la guerre d’indépendance que ce Parisien, fils d’un peintre de la cour, débarque en Amérique en tant qu’ingénieur militaire et participe à la bataille de Saratoga.

La guerre terminée, il peut commencer une carrière d’architecte et d’urbaniste. Il ne tarde pas à se fait connaître en concevant le Federal Hall, le premier capitole des États-Unis et plus ancien immeuble de Wall Street.

Et lorsqu’en 1787, la jeune république décide de se doter d’une capitale flambant neuve, créée ex-nihilo sur un territoire marécageux à la confluence du fleuve Potomac et de la rivière Anacostia, entre les États du Maryland et de la Virginie, c’est le projet du Français qui est choisi.

Washington, ainsi nommée en l’honneur du premier président des États-Unis, présente un plan géométrique avec des rues en damier coupées par des avenues obliques qui débouchent sur des places circulaires. À l’image de Versailles, l’urbanisme de la nouvelle capitale se distingue par la faible hauteur des bâtiments, et les gratte-ciels y seront proscrits.

Le président John Adams peut s’y installer en juin 1800 suivi peu après par le Congrès, c’est-à-dire le Sénat et la Chambre des Représentants. Un siècle plus tard, le gouvernement américain transférera la dépouille de L’Enfant au cimetière d’Arlington, en face de cette capitale qu’il avait conçue.

Etienne Girard sauve la jeune république

Vingt-cinq ans après une indépendance acquise de haute lutte, c’est un émigré français, Étienne Girard, qui va permettre à l’ancienne colonie de se tirer d’un mauvais pas qui aurait pu lui être fatal.

Stéphane Girard, vers 1915, JR Lambdin d’après un portrait posthume, bibliothèque de Philadelpie. Agrandissement : le bâtiment de style néo-grec, conçu par Samuel Blodgett, a été construit en 1794 pour abriter la première banque des États-Unis. Il fut occupé par la Girard’s Bank de 1812 à 1929.Issu d’une famille de négociants de Bordeaux, cet armateur pratiquant le commerce entre les Antilles et les États-Unis se réfugie à Philadelphie lors du déclenchement de la guerre d’indépendance. Naturalisé américain, il bâti rapidement une fortune considérable grâce au commerce avec l’Europe et la Chine, faisant de lui l’homme le plus riche des États-Unis.

Lorsqu’éclate en 1812 une nouvelle guerre anglo-américaine, les États-Unis sont en proie à de sérieuses difficultés financières. Leur banque centrale a été supprimée un an plus tôt et les banques privées, opposées à la guerre, refusent de prêter le moindre dollar.

C’est finalement Girard qui à la tête de sa propre banque, la Girard Bank, devient le principal bailleur de fonds du gouvernement américain, garantissant à lui seul jusqu’à 95% des bons de guerre émis par les États-Unis. Son concours évitera aux Américains une cinglante défaite.

Tocqueville et l’avènement de la démocratie

Au milieu du XIXe siècle, un philosophe français va révéler les Américains à eux-mêmes : Alexis de Tocqueville. C’est lui aussi qui entreverra l’avènement de la démocratie et les menaces qui pèsent aujourd’hui sur elle.

Le jeune magistrat a 25 ans lorsqu’il obtient du gouvernement de la monarchie de Juillet un voyage d’études aux États-Unis pour y étudier le système pénitentiaire américain. Il arrive à New York le 11 mai 1831. Flattés de l’intérêt que la France porte à leur système judiciaire, les Américains lui réserve un accueil empressé.

Croquis d’Alexis de Tocqueville jeune, Bibliothèque de livres rares et de manuscrits Beinecke, Université de Yale. Agrandissement : Torture par l’eau à la prison de Sing Sing en 1860, The Burns Archive.Tocqueville visite la prison de Sing-Sing et le pénitencier d’Auburn puis remonte jusqu’aux Grands Lacs, à la rencontre des Amérindiens. Il redescend ensuite le Mississippi et découvre l’esclavage des Noirs. Après un passage à la Nouvelle-Orléans, il regagne Washington où il est reçu avec tous les égards par le président Andrew Jackson en personne. Rappelé par son administration, Tocqueville quitte les États-Unis plus tôt que prévu, à la fin mars 1832.

De ses notes de voyage, le philosophe tire la matière de son premier ouvrage, La Démocratie en Amérique, dont le tome 1 est publié le 23 janvier 1835. Il traite plus particulièrement de l’Amérique pionnière du président Andrew Jackson. Le succès est immédiat et lui vaut d’être élu en 1838 à l’Académie des sciences morales et politiques.

Dans le deuxième tome, l’auteur élargit audacieusement son propos au phénomène démocratique et à son avenir probable. Alexis de Tocqueville montre que l’État de droit et les libertés individuelles sont les moteurs indispensables du progrès économique et social. Il lie le progrès social aux libertés politiques et manifeste son admiration pour la culture politique des Américains, en voyant des journaux jusque dans les plus modestes log-houses (maisons en rondins des pionniers).

Tocqueville craint cependant que le mouvement démocratique et l’individualisme ne conduisent à terme à une atomisation de la société et ne débouchent sur l’avènement d’un État despotique.

Buste d’Alexis de Tocqueville réalisé par le sculpteur Ernest Diosi à Tocqueville dans la Manche.Par l’acuité de ses vues, Tocqueville figure parmi les écrivains français les plus connus aux États-Unis et c’est dans ce pays que se rencontrent encore aujourd’hui les meilleurs spécialistes de son œuvre. Comment ne pas admirer sa prescience quand, en conclusion du Ier volume de La Démocratie, il entrevoit le partage du monde entre les États-Unis et la Russie : « Il y a aujourd’hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s’avancer vers le même but : ce sont les Russes et les Anglo-Américains. Tous deux ont grandi dans l’obscurité ; et tandis que les regards des hommes étaient occupés ailleurs, ils se sont placés tout à coup au premier rang des nations, et le monde a appris presque en même temps leur naissance et leur grandeur. »

Un Bonaparte invente le FBI

Notons enfin que la plus célèbre police du monde, le FBI a, elle aussi, des origines françaises. Celle-ci fut fondée par Charles Bonaparte, petit-neveu de Napoléon Ier et petit-fils de Jérôme Bonaparte qui se maria une première fois lors de son exil aux États-Unis.

Ministre de la Justice dans le gouvernement du président Theodore Roosevelt, Bonaparte créé en 1908 le Bureau of Investigation. L’agence a pour mission de lutter contre le crime organisé dans toute l’étendue des États-Unis, en suppléant aux insuffisances des polices des différents États. Elle a en charge aussi la sécurité intérieure et le service de renseignements.

L’appellation Bureau, inusitée en anglais est due aux origines françaises du ministre et sera reprise dans son nom actuel en 1935 : Federal Bureau of Investigation.