2600 ans av. J.-C.

Le 3 décembre 1872, George Smith fait le récit du Déluge d’après un texte mésopotamien antérieur de plusieurs siècles au texte biblique.

Ce graveur de 32 ans, devenu spécialiste en assyriologie au British Museum, a appris seul ou presque à déchiffrer les caractères cunéiformes, la plus ancienne écriture connue.

Ce jour-là, il lit devant les membres attentifs de la Société d’Archéologie Biblique de Londres le texte figurant sur une douzaine de tablettes d’argile originaires de Chaldée.

Gilgamesh, un héros mésopotamien
Les tablettes remontent aux environs du XIIIe siècle avant J.-C. Elles racontent en trois mille vers l’épopée d’un roi en quête d’immortalité, Gilgamesh.

Celui-ci aurait régné vers 2 600 avant J.-C. sur la cité d’Ourouk (ou Uruk). Ses sujets se plaignant de sa brutalité, les divinités lui opposent une brute forcenée, Enkidu. Les deux hommes se combattent avant de se lier d’amitié et d’accomplir ensemble des exploits. Mais Enkidu tombe malade et meurt. Inconsolable, Gilgamesh tente l’impossible pour le faire revivre avant de se résigner à regagner Uruk.

Enkidu vaincu par une courtisane
Gilgamesh se sait incapable de vaincre Enkidu aussi longtemps qu’il demeurera dans la nature, sous la protection de sa harde. Il fait donc appel à une courtisane du palais d’Uruk, Lajoyeuse, pour le convaincre de gagner la ville :

« Enkidu en personne, naturel au désert, broutait en compagnie des gazelles ; en compagnie de sa harde, il s’abreuvait à l’aiguade, et se réglait d’eau en compagnie des bêtes. Lajoyeuse le vit, cet être humain sauvage, ce redoutable gaillard d’en pleine steppe :
Le voilà ! lui dit le Chasseur. Dénude-toi, Lajoyeuse, découvre-toi le sexe pour qu’il y prenne ta volupté ! et n’aie crainte de l’épuiser ! Lorsqu’il te verra ainsi, il se jettera sur toi : laisse alors choir ton vêtement pour qu’il s’allonge sur toi, et fais-lui, à ce sauvage, ton affaire de femme ! Alors, sa harde, élevée avec lui, lui deviendra hostile, pendant que, de ses mamours, il te cajolera !
(…) Six jours et sept nuits, Enkidu, excité, fit l’amour à Lajoyeuse !
(…) La courtisane s’adressa donc à lui, Enkidu :
Tu es beau, Enkidu ! Tu ressembles à un dieu !
Pourquoi galoper en la steppe avec les bêtes ? Laisse-moi t’emmener à Uruk, à la sainte demeure, résidence d’Anu et d’Ishtar, à Uruk, où les gaillards sont ceinturés d’écharpes ; où ne cessent de retentir les tambourins, où les filles de joie, beautés irréprochables, lascives, pleines de cris voluptueux, voient les plus hauts personnages quitter leur couche nocturne ! » (note).

Contre toute attente, Enkidu et Gilgamesh deviendront après cela les meilleurs amis du monde…

 

Plus vieux que la Bible !
Le récit du déluge figure sur la onzième tablette. Il est fait par un homme, Utanapishtim, qui dit avoir été informé par le dieu de la Sagesse que l’assemblée des divinités a décidé de détruire l’humanité…

Et le dieu de donner ce conseil à Utanapishtim : « Démolis ta maison pour te faire un bateau ! Renonce à tes richesses pour sauver ta vie ! Détourne-toi de tes biens pour te garder sain et sauf ! Mais embarque avec toi des spécimens de tous les animaux (…).
Six jours et sept nuits durant, bourrasques, pluies battantes, ouragans et déluge continuèrent de saccager la terre ».

Les similitudes avec le texte biblique sont frappantes : ainsi, comme Noé dans la Bible, Utanapishtim lâche une colombe afin de repérer une terre émergée et finit par accoster sur une montagne.

La traduction de George Smith, validée par un grand orientaliste, démontre que le mythe du déluge est antérieur à la Bible, elle-même écrite par étapes à la fin du 1er millénaire avant J.-C…

Dans l’un et l’autre cas, l’inondation sert de prétexte pour montrer ce qu’il en coûte à l’humanité de déplaire à la divinité.

Ce mythe d’une humanité régénérée par le Déluge a été réactualisé au cinéma dans le film catastrophe 2012.

Bibliographie
Jean Bottéro (1914-2005), dominicain et assyriologue de grande réputation, a traduit l’épopée de Gilgamesh et l’a assortie d’un appareil critique et de commentaires dans : L’épopée de Gilgamesh (L’Aube des peuples, Gallimard, 1992).

Auteur : André Larané