Histoire

Le 23 mai 1498, Jérôme Savonarole est pendu et brûlé à Florence, sur la place de la Seigneurie. Ce macabre bûcher amorce le déclin de la prestigieuse cité toscane…

Né à Ferrare, le moine était devenu en 1491 prieur du couvent dominicain de Saint Marc, à Florence. Son talent de prédicateur déborde rapidement les limites du couvent et lui vaut de devenir le confident de certains humanistes comme Pic de la Mirandole et de Laurent le Magnifique, maître tout-puissant de la richissime cité.

Jérôme Savonarole par Fra Bartolomeo, dans sa cellule au couvent San Marco, 1498
Mais les prêches enflammés de Savonarole se font de plus en plus violents. Le prieur de Saint-Marc dénonce les moeurs délétères de la Renaissance italienne et la dépravation du clergé. Il s’en prend à la Florence des Médicis, amoureuse de la richesse et des arts, et plus encore à la papauté. Contre l’humanisme de la Renaissance, il en appelle à un retour à l’ascétisme chrétien.
Savonarole exerce une très grande attirance sur le peuple de Florence et même sur la bourgeoisie, convainquant les uns et les autres de revenir à plus d’austérité avec ses prophéties lugubres. Des milliers d’auditeurs se pressent à ses sermons… Et ils sont servis en matière de prophéties !

En 1492, Frère Jérôme annonce avec justesse la mort de Laurent le Magnifique et celle du pape Innocent VIII, ainsi que l’élection d’un pape simoniaque… Ce sera Alexandre VI Borgia !

Peu après, il prédit une invasion étrangère et voilà qu’on annonce, en 1494, la traversée des Alpes par le roi de France Charles VIII à la tête d’une puissante armée.


Diplomatie hasardeuse
À Florence, chacun tente de s’attirer les faveurs du puissant monarque. C’est ainsi que Savonarole le rencontre à Pise et le supplie, non sans une certaine prescience, d’organiser un concile qui remettrait de l’ordre dans l’Église. Le roi de France s’en garde bien.

De son côté, Pierre II de Médicis, fils et successeur de Laurent le Magnifique, cherche l’alliance française pour reconquérir son autorité sur la ville. Mais il n’y réussit pas et pour finir est chassé par le peuple.

Les affaires de la riche cité sont dès lors confiées à un Grand Conseil grâce auquel Savonarole va exercer une sévère dictature morale. Il n’hésite pas pour cela à s’appuyer sur un réseau d’espions et de policiers, enrôlant même les enfants.

La population se divise jusqu’à la délation et la violence entre arrabiati ou enragés, hostiles à Savonarole, et piagnoni ou pleureurs, ses partisans.

Entre temps, les Français se retrouvent piégés dans leur conquête napolitaine et doivent faire face à une coalition conduite par le pape. Ils forcent le passage le 6 juillet 1495 à Fornoue et se retirent incontinent de la péninsule, lâchant leur allié Savonarole.

« Bûcher de vanité »

En dépit de son affaiblissement diplomatique sur la scène italienne, le prédicateur accentue sa dictature.

Autoportrait de Botticelli, publié vers 1475. Détail issu de L'Adoration des mages.

Le 7 février 1497, à la veille du Carême, Savonarole organise, place de la Seigneurie, un grand « bûcher de vanité » (en italien Falò delle vanità) où bourgeois et coquettes jettent les attributs du luxe : jeux, instruments de musique, oeuvres d’art et jusqu’aux ouvrages de Boccace et Pétrarque… Certains artistes, convertis par Savonarole, participent de leur propre chef à la fête. C’est le cas de Botticelli qui jette lui-même dans le brasier certaines de ses toiles d’inspiration mythologique ! Beaucoup d’autres artistes sont contraints à l’exil.

C’en est trop pour le pape Alexandre VI Borgia qui excommunie l’intolérant prieur le 12 mai 1497. Menacée d’interdit, c’est-à-dire de toute possibilité de pratiquer le culte, Florence se détache de son guide.

Invité par ses rivaux de l’ordre franciscain à se soumettre au jugement de Dieu, c’est-à-dire au supplice du feu, Savonarole se défausse. La population lui retire définitivement son soutien. Il est livré à l’Inquisition, jeté en prison, torturé, condamné et exécuté avec deux autres moines. Il a 46 ans…

Les Florentins continueront après sa mort de vivre en République et c’est seulement en 1512 que le pape Jules II réinstallera les Médicis aux commandes de la ville.

Près de vingt ans après la disparition de Savonarole, de l’autre côté des Alpes, à l’abri de la vindicte papale, un autre réformateur lancera avec plus de succès ses anathèmes contre Rome : Martin Luther. 

Des voix s’élèvent encore aujourd’hui pour réclamer la réhabilitation de Savonarole et, pourquoi pas, sa béatification.