La bataille d’une maison d’édition ukrainienne pour survivre en temps de guerre

À Kharkiv, centre culturel et capitale de l’industrie du livre en Ukraine, l’activité a été arrêtée par l’offensive russe. Mais ces dernières semaines, la culture tente de reprendre ses droits. La maison d’édition Vivat, l’une des trois présentes dans la ville, fait tout pour poursuivre le travail.

Kharkiv, 2e ville d’Ukraine, est la capitale de l’industrie du livre dans le pays avec trois maisons d’édition et trois imprimeries. L’offensive russe a stoppé net l’activité. Mais ces dernières semaines, malgré les bombes et le pilonnage par l’armée russe, la culture tente de reprendre ses droits. C’est ainsi, qu’en ce mois d’avril, le lancement officiel de la publication d’un livre pour enfants a eu lieu dans un abri anti-bombes de la ville. Tout un symbole, car il s’agit du premier ouvrage publié en temps de guerre dans le pays. Il sortira à la fin du mois de mai.

Une activité à l’arrêt

Avant la guerre, la maison d’édition Vivat, la 2e du pays, publiait jusqu’à 400 ouvrages par an, de la littérature pour les adultes et les enfants. Dans les semaines qui ont suivi l’agression russe du 24 février, l’activité s’est arrêtée, la centaine de salariés luttant d’abord pour sa survie. Depuis, la très grande majorité des employés – 90% – a quitté la ville, tout comme la directrice générale de la maison d’édition, Ioulia Orlova, désormais réfugiée en Pologne, à Varsovie.

“Sincèrement, je ne souhaite à personne de vivre cela. Parce que travailler en temps de guerre est pratiquement impossible, tout comme il est impossible de se préparer à la mort. Je n’aurais jamais pensé que de nos jours, au XXIe siècle, je pourrais être confrontée à de tels problèmes. Un membre de la famille de notre comptable, une femme, a été victime d’une explosion. Ses bras et ses jambes ont été arrachés. Et nous, toute l’entreprise, nous avons essayé de l’aider, de l’amener à l’hôpital, mais malheureusement, son pronostic vital était engagé et elle est décédée” raconte Ioulia Orlova.

La publication d’un livre pour enfants

Passée la sidération, le choc et une fois les salariés hors de danger, à l’abri des bombes, une question a surgi : que faire désormais ? Comment se battre, même à distance, contre l’ennemi russe ? Réponse : en continuant, tant bien que mal à travailler. Ainsi, en ce mois d’avril, un petit miracle – comme l’appelle la maison d’édition – s’est produit : la publication d’un livre pour enfants en ukrainien. C’est le premier ouvrage publié en temps de guerre dans le pays. Il s’agit d’un best-seller de l’auteur américain Adam Mansbach, au titre volontairement provocateur : “Go Fuck To Sleep” en anglais, en français “Dors et fais pas chier”.

Nous avions acheté les droits avant la guerre, explique Ioulia Orlova, directrice générale de la maison d’édition Vivat, et nous avions prévu de le sortir au mois de février. Évidemment, la guerre a tout bouleversé. La traduction de ce livre a été assurée par Serguei Jadan, notre célèbre poète, auteur ukrainien. Il a été nommé cette année pour le prix Nobel de littérature. C’est un habitant de Kharkiv, il fait la fierté de notre ville, et nous lui sommes très reconnaissants d’avoir accepté ce projet.”

Serguei Jadan a non seulement accepté de traduire le texte, mais il en a également fait une chanson présentée pour la première fois ce mois d’avril sur les réseaux sociaux, depuis un abri anti-bombes de Kharkiv. Un acte de résistance pour l’auteur, poète et donc, traducteur. “Je vis à Karkhiv depuis 30 ans, j’aime Karkhiv, j’ai beaucoup de travail ici, alors pourquoi je partirais ?”

La culture pour “retrouver un sentiment de normalité”

D’autant plus que la culture, en temps de guerre, selon Serguei Jadan, peut faire beaucoup : “Elle peut aider à tenir, elle peut nous rappeler que nous avons vécu en temps de paix, et que nous retrouverons cette vie normale. C’est important sur un plan psychologique, émotionnel, parce que la guerre n’a rien d’une situation normale. Beaucoup de gens ne sont pas prêts psychologiquement à la supporter, à supporter toutes ces informations, et même à supporter ce qu’ils voient de leurs propres yeux dans les rues. Tout cela est extrêmement lourd, difficile à traverser… et la culture, c’est quelque chose qui peut nous aider à retrouver un sentiment de normalité.”

C’est aussi ce qui peut aider à résister face à l’agresseur pour l’auteur ukrainien qui estime qu’en arrêtant de faire ce qui est important pour soi, cela veut dire “que tu es brisé, que tu as capitulé, que tu as peur. Et je pense que l’occupant, notre ennemie la Russie, c’est exactement ce qu’elle veut !” Lui entend continuer à défendre son pays et se battre jusqu’à la victoire. En attendant, imprimé à l’ouest de l’Ukraine, le livre pour enfants sera disponible dès mi-juin. Autre pas en avant pour les éditions Vivat : leur site de vente à distance vient tout juste d’être rétabli. Les lecteurs en langue ukrainienne, de plus en plus nombreux en réaction à la guerre, peuvent à nouveau passer commande.

 

France Culture