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Pascal Bruckner: «Bien vieillir, c’est renoncer au renoncement»

À l’occasion de la 6e édition du Big Bang Santé du Figaro, l’essayiste donne sa vision de la vieillesse.
Le philosophe et essayiste Pascal Bruckner chasse les préjugés sur la vieillesse et ses pendants. Dans son livre Une brève éternité. Philosophie de la longévité (Grasset), le lecteur est invité à regarder la vie qui avance de l’automne vers l’hiver. Un voyage intime et souvent émouvant. Nous avons du temps, nous rappelle Pascal Bruckner. Les hommes et les femmes ont gagné plus de quinze ans de vie depuis le début des années 1950. Il faut apprendre à chérir ce prolongement de l’existence, assure le philosophe.
LE FIGARO. – Il y a un âge qui revient régulièrement dans votre ouvrage, c’est 50 ans. Pourquoi?
Pascal BRUCKNER. – Oui, 50 ans, c’est l’âge que les entreprises fixent pour vous classer dans la catégorie des seniors. Or, cela est problématique, parce que la fin est encore loin, si j’ose dire. À 50 ans, nous avons encore trente ou quarante ans d’espérance de vie devant nous. Si vous êtes en bonne santé, il est absurde de marquer cet âge du sceau du déclin. Au contraire, on devrait se dire que c’est le début d’une troisième ou quatrième vie, qui devrait être aussi passionnante que les précédentes. À 50 ans, vous pouvez tout à fait être un post-adolescent en pleine forme…

Est-ce que l’on apprend à vivre avec la vieillesse?
À 20 ans, on se dit qu’on peut tout faire, tout accomplir, être médecin, explorateur, astronaute… En avançant dans la vie, chacun découvre le rétrécissement des possibles. Petit à petit, la vie vous enseigne à réduire vos ambitions, et donc à vous incarner et à choisir une seule voie. Évidemment, en vieillissant, il y a beaucoup de choses que l’on ne peut pas faire, notamment dans le domaine amoureux, des voyages ou du sport. À partir de 45-50 ans, le corps, qui était jusque-là un compagnon plus ou moins docile, devient un maître. Il nous dit: «Si tu ne m’obéis pas, je vais te mettre un pistolet sur la tempe et tu vas tomber malade.» On apprend à vivre avec cette conscience de ces possibilités limitées.
Nous sommes dans une société qui oscille entre le jeunisme et un sentiment, au contraire, d’admiration pour les gens qui ont une longévité exceptionnelle. Qu’en pensez-vous?
D’un côté, le jeunisme est symptomatique d’une société vieillissante. Les personnes qui vieillissent louchent sur la jeunesse et l’idéalisent. Plus la société va vieillir, plus le jeunisme va devenir l’expression d’un désir collectif. Mais, de l’autre, nous admirons aussi nos grands centenaires. Je pense notamment à Pierre Soulages (il fêtera ses 102 ans le 24 décembre, NDLR), qui est l’un des plus grands peintres français reconnus. Effectivement, on se dit: comment a-t-il fait, quel est son secret?

Ce qui est merveilleux, avec la médecine moderne, c’est que l’on vous remet sur pied, là où nos parents ou grands-parents auraient mené une vie amoindrie
Pascal Bruckner
Est-ce que la sagesse vient avec le nombre des années?
Surtout pas! Si par sagesse on entend renoncement, alors on peut dire que bien vieillir, c’est d’abord renoncer au renoncement. C’est ne jamais se résigner à l’âge de ses artères. C’est tomber malade, parce que la maladie est la compagne de l’âge, dont on peut s’accommoder. Une personne entre 60 et 70 ans, c’est une vieille berline élégante qui doit aller chez le garagiste tous les 100 kilomètres. On répare par morceaux, les genoux, les hanches, le cœur, les poumons… Ce qui est merveilleux, avec la médecine moderne, c’est que l’on vous remet sur pied, là où nos parents ou grands-parents auraient mené une vie amoindrie. Nous, nous repartons d’un bon pied, et cela est tout de même très important. Tant que l’on garde ses capacités physiques et intellectuelles, on est capable d’accomplir un certain nombre de choses. C’est exaltant!
Est-ce que cela est une façon de se dire que le progrès a une vertu: pouvoir nous faire vivre plus vieux?
Sainte-Beuve disait: «La vieillesse, c’est le seul moyen qu’on a trouvé pour vivre longtemps.» De manière relative, le progrès médical permet de vivre longtemps en plus ou moins bonne santé. Ne nous trompons pas, ce progrès, indiscutablement spectaculaire, ne prolonge pas tant la jeunesse que la vieillesse. Il y a toutes ces questions de dépendances, d’Alzheimer, de Parkinson, qui sont catastrophiques. C’est à chacun d’adapter sa mentalité à cette avancée de la science et de veiller à ne pas rentrer, comme l’avaient fait mes propres parents et leurs parents à eux, dans le costume de la vieillesse.