Histoire

En 1832, les Parisiens, incrédules, surpris par une épidémie de choléra

HISTOIRE DE LA MÉDECINE – L’Hexagone subit de plein fouet la contagion de cette maladie venue du l’est de l’Europe.
La France de 1832 est gouvernée depuis deux ans par l’impopulaire Louis-Philippe. En tendant l’oreille, on pourrait presque entendre le grondement du choléra qui approche, mais les Français sont encore persuadés que leur niveau de «civilisation» les protège contre cette infection diarrhéique aiguë qui peut tuer en quelques heures seulement. «Nous pensions que notre climat, la salubrité de notre pays, nos règlements de police, les progrès de la science nous en préserveraient», écrira bientôt le philosophe et politicien Charles de Rémusat.

e mal n’est pourtant plus cantonné aux Indes depuis longtemps. À partir de 1817, la menace se rapproche, par vagues successives. En 1826, l’armée russe propage le choléra dans toute l’Europe à la faveur des guerres contre la Perse, la Turquie et la Pologne. À Varsovie, Vienne, Berlin et Londres, des familles parisiennes suivent avec angoisse l’avancée de «Bonhomme choléra».
Il est possible que certains cas isolés soient apparus dans l’Hexagone dès février 1832. Mais ce n’est qu’à partir du 15 mars que l’on peut réellement parler d’épidémie, statuent des spécialistes dans une présentation à la Société française d’histoire de la médecine en 1982. Un passager malade débarque à Calais et le «trousse-galant» se propage dès lors à toute vitesse. Le 26 mars, le choléra entre dans la capitale. Au début, les Parisiens hésitent entre incrédulité et forfanterie. Dans les chansons populaires, on fait rimer «bal»avec «hôpital». On danse des «valses du choléra» et l’on se grime, pour le carnaval, en malade ou en choléra-morbus lui-même. Le 1er avril, Le Figaro publie un article qui prône le rire prophylactique: «Riez du choléra, plus de choléra». La réalité de l’épidémie y est mise en doute, attribuée aux calculs politiques et marchands ; l’ampleur de la mortalité est contestée. Moqueur, l’auteur conclut sur une note grotesque: «Des ouvriers pour faire respecter un de leurs camarades plongé dans le sommeil de l’ivresse ont attaché sur lui un écriteau portant ces mots: Mort du choléra!»

Peu de connaissances sur la maladie
L’insouciance ne va pas durer et c’est l’écrivain allemand Heinrich Heine qui témoigne le mieux de l’épouvante causée par l’irruption soudaine de la maladie. La scène a lieu le jour des festivités de la mi-carême ; avec 28 °C, il fait anormalement chaud en ce 29 mars. «Comme (…) il faisait du beau soleil et un temps charmant, les Parisiens se trémoussaient avec jovialité sur les boulevards où l’on aperçut même des masques qui parodiaient la couleur maladive et la figure défaite, raillant la crainte de chacun. Le soir du même jour, les bals publics furent plus fréquentés que jamais ; les rires les plus présomptueux couvraient la musique la plus éclatante. (…) Quand, tout à coup, le plus sémillant des arlequins sentit trop de fraîcheur dans ses jambes, ôta son masque et découvrit, à l’étonnement de tout le monde, un visage d’un bleu violet…» Cette teinte effrayante résultant d’une cyanose par rupture des capillaires précédant de peu le décès, et qui a donné naissance à l’expression «peur bleue».

es scientifiques de l’époque en savent très peu sur le choléra. Ils pensent que cette «peste» épargnera les classes aisées. De fait, les toutes premières victimes sont des ouvriers, qui vivent dans des conditions ignominieuses dans certains quartiers de la capitale. Dans les rues sales et étroites de la cité, où la lumière passe à peine, l’eau est rare et la densité peut atteindre jusqu’à 150.000 habitants au kilomètre carré, rapporte-t-on. Affamées et affaiblies par une crise qui dure depuis des années, les classes populaires parisiennes paieront un tribut énorme au choléra-morbus. Le quartier Saint-Merri, autour de l’Hôtel de Ville, vit mourir 5,3 % de sa population. La rue de la Mortellerie à elle seule perdit 304 habitants sur 4688, soit 6,4 %, en une année.

Riches et bourgeois incriminés
Ignorant les modes de contamination de la maladie, qui se transmet par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés, les plus pauvres accusent les riches et les bourgeois de chercher à les empoisonner. Des passants surpris avec des fioles jugées suspectes sont tués par la foule ou jetés dans la Seine ; des émeutes éclatent. Mais, rapidement, le bacille, véhiculé par les selles diarrhéiques des malades, s’invite dans les quartiers plus aisés. Le chef du gouvernement, Casimir Perier, succombe le 16 mai. La panique achève de s’installer et ceux qui le peuvent quittent la capitale et répandent sans le savoir la maladie sur le territoire.

Source le Figaro