LittératureSanté

Thomas Lilti, à cœur ouvert

Médecin devenu cinéaste, le réalisateur du film Hippocrate s’interroge, dans un livre, sur l’engagement des soignants et la transmission du savoir. Une confession à cœur ouvert.
Par Françoise Dargent

Un «metteur en scène médecin» ou un «un médecin qui fait des films»: selon l’endroit où il se trouve, Thomas Lilti n’est pas toujours vu de la même façon. Treize années derrière la caméra n’ont toujours pas pris le pas sur une douzaine passée en blouse blanche, un peu plus si l’on compte les années d’études de médecine. Lorsqu’on l’interroge à ce sujet alors qu’il est en train de finir le montage de la deuxième saison de la série Hippocrate, le réalisateur est droit dans ses bottes: «J’ai une identité de soignant très forte, ancrée dans ce qu’on m’a transmis et ce que j’ai appris. C’est quelque chose qui se révèle tous les jours avec mes proches, et aussi dans mes films.» Avant d’affirmer: «Mais mon métier, celui que j’aime, est celui de cinéaste. Quand je pratiquais j’avais le sentiment de ne pas être totalement à ma place.» Où est sa place? Il enfonce le clou dans son livre tout juste paru, Le Serment (Grasset), exercice d’autoanalyse sincère. Preuve que la question n’a pas fini de le tarauder.

Thomas Lilti semble plutôt être du genre à réfléchir mûrement. Pourtant, en mars dernier, alors que le confinement venait de stopper net le tournage d’Hippocrate à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, il a décidé de proposer ses services de médecin aux urgences. Pour être utile à un moment où tout le monde se posait la question en regardant la tragédie se dérouler sur le petit écran. Et peut-être aussi, écrit-il, «par vanité». Il y a chez lui cette volonté constante de ne pas se voir tresser une couronne. Au point parfois d’irriter. «Tu te dénigres trop, ça devient un mensonge», lui a asséné sa compagne lorsqu’elle a lu la première version de son récit. Il poursuit: «Ce livre est né à partir de prises de notes orales enregistrées au détour de ce retour à l’hôpital. C’est très modeste d’un point de vue littéraire. D’ailleurs, ce livre, je n’en ai parlé à personne. Non que je le trouvais honteux mais je ne me sentais pas légitime.» Chassez le syndrome de l’imposteur, il revient au galop.

Médecin, réalisateur et désormais auteur: Thomas Lilti pourrait brouiller les pistes s’il n’y avait pas un fil rouge dans ce parcours. Ce fil rouge est l’acte de soigner, qu’il a appris, qu’il a filmé et qu’il raconte désormais dans Le Serment. L’ouvrage débute par une douche froide. Il retourne aux urgences en mars dernier, persuadé qu’on l’attend. Or le responsable qui le reçoit le lundi lui répond de revenir trois jours plus tard car il est trop occupé. Puis ce sera au tour de l’Ordre des médecins de lui faire remarquer qu’il n’a pas payé sa cotisation et qu’il ne peut donc prétendre exercer à nouveau. Durant un mois, toutefois, Thomas Lilti aura le temps de renouer avec la réalité de ce monde. Il constatera que le manque de moyens s’est sérieusement aggravé, que la médecine est devenue beaucoup plus technocratique et que les urgences ne fonctionnent plus qu’avec des intérimaires. Le diagnostic du docteur Lilti est sombre mais il note ce qui l’émerveille toujours: les soignants sont là, sans lesquels tout s’écroulerait.

L’auteur a mis beaucoup de ses souvenirs dans Première Année , son film sur ce parcours du combattant que représente le concours pour des milliers de jeunes. Et un parfum de vérité qui n’a sans doute pas été étranger à son succès. Il décrit dans Le Serment «la violence de l’enseignement» puis celle qui irrigue les stages, «de se voir sans cesse rabaissé, traité d’imbécile». On devine, dans ses paroles et à travers ses lignes, l’ex-étudiant en médecine qu’il fut: questionnant l’institution, s’interrogeant sur sa vocation mais calibré pour affronter la tempête. «Ce mélange de doute et de remise en question permanents qui n’exclut pas une forme de narcissisme rend ce livre intéressant», explique son éditrice Juliette Joste, qui pointe «la force du propos et le regard humaniste».
Un humaniste rusé qui, pendant son cursus, commence à faire des films. Dès la 2e année de médecine, il achète «dans une brocante» une caméra super-8 et participe à un festival universitaire à Nanterre. Il a 18 ans et son court-métrage décroche le grand prix. Le déclic. Il soutiendra sa thèse de docteur en médecine quelques jours avant le tournage de son premier long-métrage, Les Yeux bandés, qui ne fera que 3000 entrées malgré les critiques plutôt bienveillantes, «je ne l’ai pas revu c’est trop douloureux», évoque l’intéressé, fébrile. Le succès viendra avec Hippocrate, chronique dure et humaniste de la vie hospitalière, puis avec Médecin de campagne . La bonne fortune de la série Hippocrate, tirée du film éponyme, l’a fait entrer dans le cercle très fermé des réalisateurs «bankables». Au risque peut-être de l’enfermer dans la case du mandarin de la cinématographie hospitalière? Il botte en touche: «Mon prochain film portera sur la transmission du savoir. L’hôpital n’est pour moi qu’un décorum.»

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