« 42 % des patients déclarent que l’annonce de leur cancer a duré moins de 15 minutes »
ENTRETIEN. À l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer, le Dr Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer, publie un manifeste et s’inquiète des régressions pour les malades.
Le Point : Pourquoi avoir choisi cette date du 4 février pour remettre votre manifeste à Emmanuel Macron ?
Philippe Bergerot : Nous profitons de cette Journée mondiale contre le cancer pour marquer le coup. Mais nous voulions aussi faire un bilan, vingt-cinq ans après les premiers états généraux. À l’époque, les patients avaient pu s’exprimer pour la première fois. Aujourd’hui, ils participent à l’élaboration de ce manifeste à travers un véritable collectif que nous venons de mettre en place.
Qui sont ces personnes et quel est leur rôle ?
Ce sont des bénévoles de la Ligue, des personnes passées par la maladie, des patients ressources, qui participent à la formation du personnel de santé mais aussi à l’accompagnement des malades, des relecteurs des essais thérapeutiques et des représentants des usagers. Ils sont présents dans tous les comités de la Ligue en métropole et en outre-mer et sont donc des observateurs essentiels, répartis sur tout le territoire, qui peuvent nous faire des remontées de terrain.
Ils recueillent des informations, les difficultés rencontrées par les patients, participent à nos enquêtes, par exemple sur les restes à charge ou les difficultés d’accès aux soins. Aujourd’hui, ils sont à peu près entre 150 et 200. Mais potentiellement nous sommes sur une base de plus de 1 000 personnes.
Quel type d’informations pouvez-vous collecter par ce canal ?
Nous avons pu constater l’an passé que l’une des principales préoccupations des patients était les difficultés de transports dans certaines zones. Par exemple, les ambulances privées, peut-être pour des questions de rentabilité, ne veulent plus aller dans les centres-villes parce que les embouteillages leur font perdre beaucoup de temps pour aller chercher un patient. Paradoxalement, ce serait plus facile de transporter des malades dans les campagnes où les conditions de circulation sont beaucoup plus favorables. C’est un gros problème, car quand il n’y a pas de transport, il n’y a pas d’accès aux soins. C’est à partir de ce type d’informations que nous avons pu construire le manifeste.
Il y a des zones en ville, c’est le cas à Paris, dans lesquelles les médecins ne s’installent pas et où toute une population ne consulte pas.
Que contient-il exactement ?
Il s’articule autour de dix points clés qui demandent des actions. Et ces dix points ne constituent pas une position générale de la Ligue, mais bien les éléments portés par les malades à travers ce collectif. Par exemple, premier point : rendre le dépistage des cancers accessible à toutes et à tous sur l’ensemble du territoire. Cela devrait être une évidence, mais ce n’est pas le cas. Par manque d’information, difficulté de prendre un rendez-vous, éloignement d’un centre de soins…
Paradoxalement, ce n’est pas forcément dans les campagnes, comme on le pense souvent, que la situation est la plus problématique ?
Effectivement, il y a des zones en ville, c’est le cas à Paris, dans lesquelles les médecins ne s’installent pas et où toute une population ne consulte pas. Ces populations ne « consomment » pas de médecine. Pour elles, c’est presque un luxe ou ce n’est pas prioritaire, même si beaucoup d’actes peuvent être remboursés.
Quelles sont ces populations ?
Ce sont classiquement les plus défavorisées, mais pas seulement. Il y a aussi les personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer facilement, ou qui ne sont plus en mesure de payer une mutuelle. Or, s’il faut consulter un médecin et qu’il n’est pas à proximité, le taxi s’impose et cela coûte très cher. À l’inverse, dans certaines petites villes, comme à Pornichet (Loire-Atlantique), les associations ont mis en place des « pornichauffeurs » qui transportent gratuitement les malades. Sans cette solidarité associative, les inégalités peuvent vite se creuser.
Mon rêve est de pouvoir faire des campagnes de dépistage avec d’autres associations, comme Les Restos du cœur.
Que fait la Ligue justement pour pallier ces difficultés ?
Nous essayons de développer le « aller vers » pour toucher ces populations. On sort de nos établissements, on crée de nouveaux espaces en accord avec les mairies pour la prévention et le dépistage, on essaie même d’avoir des camionnettes pour pouvoir se rendre un peu partout afin d’offrir des soins de support, voire pour proposer les mêmes actions de prévention. Mon rêve est de pouvoir faire des campagnes de dépistage avec d’autres associations, comme Les Restos du cœur, car les personnes qui s’y rendent sont aussi celles que nous avons du mal à toucher.
Le manifeste met aussi l’accent sur l’annonce de la maladie.
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?
Chaque personne malade doit bénéficier d’une consultation d’annonce spécifique, empathique et accompagnée. Là encore, ce n’est pas toujours le cas. Aujourd’hui, 42 % des patients déclarent que l’annonce de leur maladie a duré moins de quinze minutes. On a même l’impression que cela se dégrade. Une des explications est qu’il est de plus en plus difficile de disposer de personnel dans le soin, notamment des infirmières. Elles sont donc obligées de délaisser tout ce travail important de l’annonce pour retourner dans le soin. C’est la même problématique pour les infirmières de coordination, lien entre le service hospitalier et les soins de ville.
Pourtant cet engagement a été obtenu dès le premier plan cancer, en 2004.
La majorité des points que nous évoquons dans le manifeste sont des engagements qui ont été pris au cours des différents plans cancer. Et qui n’ont pas été tenus.
Qu’attendez-vous du président de la République ?
Déjà, une réponse. Pas pour moi, mais pour le collectif des personnes malades et aidants de la Ligue. À l’heure où nous avons cette discussion [le 28 janvier, NDLR], Emmanuel Macron n’a toujours pas répondu à nos sollicitations pour lui remettre ce document. Nous lui adressons ces dix points, qui ont été promis dans les plans cancer. Donc, en tant que citoyen, on ne lui demande rien de plus que de faire en sorte que ces promesses soient respectées. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi, dans certains cas, il y a même des retours en arrière.
Sommes-nous dans un pays qui est en mesure de se donner les moyens d’avoir une réponse forte contre le cancer ?
Il y a en France tout un millefeuille administratif et coûteux qui, en plus, complique le soin.
On pourra toujours nous dire que nous sommes dans une période difficile et que des coupes budgétaires s’imposent. Mais je me souviens d’une étude qui montrait que l’Allemagne traitait efficacement le même nombre de malades avec beaucoup moins de moyens. Il y a en France tout un millefeuille administratif et coûteux qui, en plus, complique le soin. Il est donc urgent d’améliorer le fonctionnement de notre système de santé avant de penser à des coupes budgétaires.
LE POINT