Histoire

Quand les rois de France barraient la route aux Vikings

Les fouilles de l’enceinte d’Alizay, sur de la Seine normande, mettent en lumière un exceptionnel ouvrage défensif d’âge viking.

Avec
Cyril Marcigny Archéologue et protohistorien à l’Inrap
Vincent Carpentier Archéologue et chercheur à l’Inrap

Les raids vikings

Les premières incursions vikings débutent en 793 sur les côtes anglaises. Après Noirmoutier en 819, ceux-ci explorent l’embouchure de la Seine. En 841 ils incendient Rouen, et de 120 navires assiègent Paris en 845, puis en 851-852. Le plus spectaculaire des raids vikings se déroule à Paris entre 885 et 887.

Face à la menace, les royaumes occidentaux, dont les francs, se voient dans la contrainte d’indemniser les vikings, au travers du « Dangeld », le tribut aux Danois. Toutefois, cette stratégie s’avère une catastrophe, suscitant la venue de plus en plus de prédateurs.

Vincent Carpentier “les Vikings, ce sont des personnages qui viennent des brumes du nord, de Scandinavie. Et puis, pour ce qui concerne le site de Pont de l’Arche, de la Normandie, au IXᵉ siècle également, ils sont venus des îles britanniques. […] Il y a eu une une diaspora, aujourd’hui scandinave, assez large, en forme d’éventail, à partir des pays scandinaves, la Suède, le Danemark et la Norvège actuelle.”

Vincent Carpentier “Ces peuples, pour diverses raisons assez complexes, se sont mis à migrer. Il existe dans ce phénomène migratoire plusieurs phases, la première étant celle de raids exploratoires suivis de pillages, d’incursions parfois assez loin dans les terres. Puis, une deuxième phase qui est celle, davantage militarisée, de quêtes, d’implantations territoriales, et enfin, une troisième phase avec la fondation de certains états, comme ce qui deviendra plus tard le duché de Normandie.”

Pont-de-L’Arche (Eure) : barrer la route aux vikings

Vincent Carpentier: “Les premières incursions, à partir des années 820 les sur côtes du Nord-Ouest de la France actuelle, et vers 840 dans l’estuaire de la Seine, entraînent une pression croissante au cours de ces années qui a amené les souverains francs à organiser, dans la mesure de leurs moyens, des systèmes de défense.”

Cyril Marcigny “Rouen sera la base arrière des Vikings pour aller mener les raids sur Paris. Alizay participe de ce nouveau dispositif qui est mis en place pour pour freiner cette avancée sur Paris.”

Charles le chauve met en place, en 860, une nouvelle stratégie : barrer la Seine à Pont-de-L’Arche, la Loire au Pont de Cé, pour mieux contrecarrer le fléau scandinave.

Le système se compose de deux enceintes quadrangulaires protégées de trois puissants fossés entrecoupés de talus aux poutrages de bois. Celles-ci protègent le pont qui barre le cours du fleuve par des chaînes voire peut-être de pieux de bois dans la Seine, comme à Londres. En 873, Adon de Vienne évoque l’ensemble comme un ouvrage d’une puissance remarquable, prêt à subir l’assaut des vikings.

Les sources carolingiennes sont exceptionnelles sur cette forteresse de Pont-de-L’Arche : les annales de Saint-Bertin nous renseignent sur l’année 869, tandis que nous savons que l’abattage des arbres pour édifier les enceintes, est entrepris en 862.

Vincent Carpentier “Cette fortification de pont a nécessité des moyens importants. Mais c’est sûrement apparu, après le Dangeld, comme la stratégie la plus adaptée et la plus rapide à mettre en œuvre pour tenter d’endiguer ces incursions que rien d’autre ne pouvait ralentir.”

En attendant les vikings, une sorte de « Désert des tartares »

Nous savons peu de chose sur la garnison et les occupants de ce fort, hormis la découverte des vestiges d’un repas qui laissent supposer la présence de 150 personnes. La découverte de tombes, datées des années 862-929, nous renseigne sur la présence d’une population de basse condition, affectée aux travaux de mise en défense du site.

Le mobilier de l’enceinte, essentiellement métallique, a été mis au jour dans le comblement des fossés et s’échelonne du 9e au 15e siècles, il s’agit de flèches et de carreaux d’arbalètes, de monnaies et d’exceptionnels méreaux (jetons) mais aussi des boucles, plombées de pêche etc.).

Le pont et ses fortifications subirent les assauts scandinaves, pour autant les vikings semblent le contourner. Partant de l’embouchure de la Seine, ils mettront ainsi, en 876, quatre mois avant de se présenter devant Paris.

Pont-de-l’Arche

Le traité de Saint-Clair-sur-Epte, entre Charles III le simple et Rollon, achève, en 911, cet épisode de raids et de pillages et constitue la base de la fondation de la Normandie.
Ainsi, les vikings, désormais chrétiens, s’intégreront. Pour autant, le pont et ses enceintes conserveront leur rôle stratégique au cours des siècles et lors des phases d’occupation militaire de la forteresse qui se succèderont du XIIe au XVe siècles.

Pont-de-L’Arche est encore, de nos jours, paré des fortifications de Philippe-Auguste et possède quelques éléments remarquables, la tour de Crosne, notamment.
Le souvenir de l’époque viking a, quant à lui, subsisté dans la toponymie : Pont-de-l’Arche possède un nom composé tout à la fois d’un terme latin et scandinave, Archas as Dans, preuve de l’implantation des vikings sur cette zone frontière de la Seine.

Vincent Carpentier “On observe la présence d’un certain nombre de toponymes doubles comme celui-ci, associant un nom de lieu d’origine franque voire plus ancienne, avec un nom de lieu plus récent, à consonance nordique, et qui nous montrerait que des groupes scandinaves se sont bien établis dans ce secteur, ont coexisté avec des groupes francs dans une relative bonne intelligence.”

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