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Pourquoi le stress est contagieux ?

Le stress est-il contagieux ? Oui, affirme une étude récente. Gilles Deleuze le disait déjà de l’ensemble des « passions tristes » qui minent notre puissance d’agir.

Que dit l’étude ?

« La perception du stress chez les contacts avec qui un individu a des interactions modifie l’expérience de stress de cet individu dans ce contexte. » Le stress se transmet : telle est la conclusion d’une étude menée par Shihan Li, David Krackhardt et Nynke M. D. Niezink, et publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology. Cette étude a été menée pendant 6 mois auprès des plusieurs centaines de personnes issues du monde académique.

Ce phénomène de transmission affective est influencé par différents facteurs. Il est « amplifié dans des conditions de consensus relatif entre les contacts sociaux », c’est-à-dire lorsque les relations interpersonnelles ne sont pas antagonistes. En revanche, « un faible niveau de névrosisme [tendance à éprouver des émotions négatives], un niveau élevé de conscience de soi et un haut niveau [de] contrôle interne contribuent à atténuer la transmission du stress ». Preuve, s’il en est, que pour combattre le stress et éviter qu’il ne se transmette aux autres, l’une des premières choses à faire est d’être le plus sensible aux signaux qu’il nous envoie.

Deleuze et la contagion des passions

Cette contagion du stress n’aurait sans doute pas étonné Gilles Deleuze. Au fil de sa lecture de Spinoza, le philosophe développe une sorte d’écologie générale des affects. Tous les corps, note-t-il, s’affectent sans arrêt au gré de leurs rencontres. Tous les corps engendrent, en d’autres corps, des « passions » (patior, « pâtir ») en deçà de toute initiative consciente ou volontaire, en deçà de tout contrôle. Ces passions peuvent être de deux types.

« Passions joyeuses », d’une part, lorsque l’affection procède d’un rapport de « composition » produisant une « augmentation de ma puissance d’agir ».
« Passions tristes », d’autre part, qui sont le fruit d’un rapport de « décomposition » et conduisent à ce que « ma puissance d’agir diminue ». « Dans le cas de l’affect triste, la puissance de l’autre chose et la vôtre se soustraient, puisque tout votre effort à ce moment-là consisterait à lutter contre cette tristesse, et dès lors, votre puissance et la puissance de la chose qui vous affecte se soustraient », au lieu de s’augmenter (cours à l’université de Vincennes, le 14 janvier 1974).
Le stress est à ranger du côté de ces passions tristes. Or, dans une optique fondamentalement relationnelle, les passions déclenchent des logiques de contagion. Si quelque chose ou quelqu’un m’affecte de tristesse, ma tristesse rejaillit en retour sur les êtres qui m’environnent, qui doivent alors sacrifier une partie de leur énergie pour lutter contre mon état angoissé les tirant vers le bas.

Deleuze aura des mots vifs contre cette tendance, à ses yeux particulièrement marquée dans le cas des passions tristes. « Les malades, de l’âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas, vampires, tant qu’ils ne nous auront pas communiqué leur névrose et leur angoisse », glisse-t-il dans ses Dialogues (1980) avec Claire Parnet. « La névrose a acquis sa puissance la plus redoutable, celle de la propagation contagieuse : je ne te lâcherai pas tant que tu ne m’auras pas rejoint dans cet état. » Dans un cours, il ajoute : « Ils vivent comment, les tristes et les déprimés ? Ils vivent sous la forme de la contagion, ils ne vous lâcheront pas. Un déprimé, c’est une force explosive, ça vous tient. »

On comprend alors que, dans un environnement relativement clos comme celui d’un open space de bureau, qui laisse peu de place au surgissement de nouveaux êtres, et donc de nouvelles affections pouvant endiguer le cercle vicieux des passions tristes, l’ambiance puisse rapidement devenir stressante pour tout le monde. Pas besoin d’avoir une « vraie » raison de stresser : il suffit qu’un collègue soit effectivement sous pression pour que son anxiété rejaillisse sur l’ensemble de l’équipe. Seule solution, dans ce cas : sortir, et aller à la rencontre d’autres corps, d’autres modes d’être.

Source: Philomag