« L’art préhistorique n’a jamais été aussi contemporain, » assure Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du Musée de l’Homme (Paris), à l’occasion de l’ouverture de la grande exposition Arts et Préhistoire (16 novembre 2022-22 mai 2023). De fait, les œuvres de cette exposition, dans leur infinie diversité, nous rappellent combien l’art est universel et intemporel et combien l’humanité est une.
Quoi de plus normal que nous émeuvent les « Vénus » préhistoriques, les chevauchées fantastiques de Lascaux ou les félins de Chauvet : elles témoignent d’un talent artistique hors du commun. Il en va tout autant des peintures pariétales des falaises chinoises de Huashan ou des canyons de l’Utah, qui nous rappellent l’art brut ou l’art naïf du siècle précédent, ainsi que des pointes de sagaies ou de flèches finement décorées, juste pour la frime !
Nous n’avons conscience de l’existence d’arts préhistoriques que depuis la fin du XIXe siècle. Les peintures pariétales de la grotte d’Altamira, près de Santander (Espagne), ne furent découvertes qu’en 1868. Encore fallut-il attendre la découverte de peintures similaires dans la grotte de Font-de-Gaume, en 1902, pour se convaincre qu’il s’agissait de créations très anciennes. Les peintures pariétales de Lascaux furent, elles, découvertes en 1940 et celles de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc en 1994. À l’échelle de notre planète, d’autres sites surgissent régulièrement du passé, avec leur lot de surprises, de controverses mais surtout d’émerveillement.
Les datations de ces chefs-d’oeuvre sont encore plus surprenantes : si les peintures de Chauvet-Pont-d’Arc sont datées d’il y a 36 000 ans (période de l’Aurignacien), celles de Lascaux remontent « seulement » à -18 000 et celles d’Altamira à -14 000 (Magdalénien). Et l’on a récemment découvert en Asie du Sud-Est ce qui apparaît comme la plus ancienne oeuvre d’art connue à ce jour. Elle remonte à 45 000 ans environ. Ce que nous appréhendons comme un « tout » préhistorique s’étend donc sur des millénaires !
Toutes ces découvertes attestent que nos lointains prédécesseurs constituaient déjà des sociétés très structurées, avec leurs rites et leurs croyances. Les peintures attestent d’un travail collectif, puissamment réfléchi, aussi bien accompli par des femmes que par des hommes.
Ces authentiques artistes étaient pour les uns adeptes des figurations naturalistes, pour les autres de l’abstraction. Ils maîtrisaient la fabrication des couleurs et les techniques de peinture au trait, en aplat ou en crachis. Ils pratiquaient aussi la gravure comme on en voit dans quelques diverticules plus ou moins secrets de Lascaux.
On ignore la signification des peintures pariétales en des lieux souterrains inaccessibles au commun des mortels.
On peut seulement penser qu’elles avaient une dimension religieuse ou propitiatoire comme les curieuses mains de la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées), qui remontent au Gravettien : pas moins de 200 mains pochées en négatif dans différentes teintes, avec, pour la plupart, des phalanges manquantes. L’art pariétal ne s’est pas limité au Paléolithique. Longtemps après, il a été encore pratiqué aux Amériques comme en Asie, souvent sur des falaises à l’air libre. Il continue même d’être pratiqué en Afrique…
Néandertal, le grand oublié
Si notre aïeul Sapiens était artiste, on ne peut exclure que notre très ancien oncle ou cousin Néandertal l’était aussi. Apparu en Eurasie il y a environ 600 000 ans, il a disparu il y a seulement 30 000 ans. Son cycle de vie caractérise le Paléolithique moyen ou Moustérien (d’après le site du Moustier, dans la vallée de la Vézère, en Dordogne). Il a été remplacé par des Sapiens d’Afrique passés par la case Moyen-Orient où ils se sont unis aux Néandertaliens du cru (pour cette raison, ces derniers ont légué une partie de leurs gènes à tous les humains actuels à l’exception des Africains).
Avec la découverte d’une tombe d’enfant qui remonte à 41 000 ans, au lieu-dit La Ferrassie (Dordogne), il a été prouvé que les Néandertaliens pratiquaient déjà l’inhumation quand les Sapiens faisaient à peine leur apparition en Europe.
Vieux de plus de 170 000 ans, les mystérieux arrangements de stalagmites au fond d’une grotte, à Bruniquel (Tarn-et-Garonne) témoignent aussi d’une capacité d’abstraction très humaine, même s’ils n’ont pas à proprement parler de qualités artistiques… Cela dit, la préhistorienne Marylène Patou-Mathis rappelle que Néandertal a très bien pu produire des artefacts et des œuvres artistiques sur des supports biodégradables (écorce, bois,…) qui n’ont pas résisté à l’épreuve du temps.
Éternel féminin
L’épreuve du temps, les œuvres de Sapiens l’ont remarquablement franchie pour notre plus grand bonheur. Rebaptisé Cro-Magnon quand il s’est établi en Europe après son étape moyen-orientale, notre lointain parent nous éblouit par ses créations picturales mais aussi sculpturales.
Pendant que les uns se faufilaient au fond des grottes, les autres, dans les abris sous roche, à la lumière du jour, taillaient l’ivoire, l’os, la pierre et sans doute aussi le bois. Ces objets gravés et sculptés sont le produit non d’individus isolés mais de véritables ateliers de conception et de fabrication, comme l’attestent les fragments et vestiges retrouvés.
Le plus ancien de ces objets connu à ce jour est une statuette en ivoire de mammouth représentant un « homme-lion » et dont les morceaux ont été retrouvés en 1939 dans la grotte de Hohlenstein-Stadel (Bade-Wurtemberg). Selon les plus récentes analyses, elle remonte à 40 000 ans, soit au début de l’Aurignacien !
De cette première période du Paléolithique supérieur nous viennent de nombreux objets figuratifs dont le bestiaire n’est pas sans rappeler les peintures rupestres de la grotte de Chauvet-Pont-d’Arc, également de cette période (félins, mammouths,…).
Cet intérêt de nos aïeux pour les représentations animales se prolonge très longtemps comme l’atteste entre autres le célèbre « petit cheval de Lourdes », une statuaire en ivoire de mammouth datée du Magdalénien et retrouvée en 1889 dans la grotte des Espélugues, au-dessus du gave de Pau. Un chef d’oeuvre de l’art animalier qui en remontrerait aux plus grands de nos artistes.
Les grottes pyrénéennes comme Le Mas d’Azil (Ariège) nous ont légué beaucoup d’objets similaires de la même époque : têtes de cheval dites à « contours découpés », en os de renne, ou propulseurs décorés d’un bouquetin. Le propulseur (bâton avec crochet) est employé pour donner plus de force au lancer des sagaies et l’on peut s’étonner que les chasseurs aient pris tant de soin à décorer cet objet strictement utilitaire.
En sculpture comme en peinture, les représentations d’être humains sont rares. On a découvert quelques curieux objets qui figurent de toute évidence un phallus et pourraient pour certains évoquer une vulve ! Pour le reste, on ne connaît pour ainsi dire aucune représentation d’homme si ce n’est le mystérieux « homme de Lascaux ». Par contre, on connaît heureusement d’assez nombreuses statuettes féminines dont la signification demeure également mystérieuse : bijou, amulette, représentation de la maternité ?…
La « Vénus impudique », première figurine humaine à avoir été découverte, en 1863, par le marquis Paul de Vibraye, éblouit par sa finesse, la qualité de son exécution ainsi que par sa sensualité. Cette réalisation du Magdalénien d’à peine -16 000 ans sera rejointe au fil des décennies par d’autres « Vénus » fantasmatiques, parmi lesquelles la Vénus de Lespugue, chef d’oeuvre du Gravettien (-28000 ans) à la forme cubiste d’un étonnant modernisme. Cela n’a pas échappé à Picasso qui a célébré devant son ami le photographe Brassaï sa plastique évoquant « la quintessence des formes féminines ».
Notons aussi la Vénus de Laussel (Dordogne), dite « Vénus à la corne », découverte en 1911 et non pas sculptée en ronde-bosse mais gravée dans un bloc de calcaire. Elle aussi remonte au Gravettien. Enfin, n’oublions pas la « Joconde de la Préhistoire », dite « Dame à la capuche », découverte à Brassempouy (Landes) et conservée au Musée des Antiquités nationales (Saint-Germain-en-Laye).
Cette émouvante figure féminine de 3,6 cm a été taillée dans une ivoire de mammouth il y a 23 000 ans, au Solutréen. Le dessin de la coiffure, l’incision des yeux, le poli du visage témoignent d’une maîtrise artistique remarquable.
Souhaitons que les fouilles à venir, sur les cinq continents, nous offrent d’autres découvertes d’aussi belle facture. « Il n’y a pas de passé ni d’avenir en art », disait, il y a un siècle, Picasso.
Article d’André Larané