Société

«La dimension spirituelle de l’homme ressurgit dans les phases de chaos»
Par Eugénie Boilait

Dans votre ouvrage S’engager pour le bien commun , vous évoquez d’abord votre expérience personnelle et professionnelle. Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre et quel est son objectif ?

Philippe ROYER. – J’ai écrit ce livre car j’avais l’intuition que notre pays allait vivre une période difficile et qu’il était temps de réveiller l’intelligence des bons. Les résultats des élections législatives et le taux d’abstention traduisent que nous sommes à la fin d’un modèle. Les Français n’attendent pas de savoir qui va trahir qui pour dégager une majorité, ils attendent un changement de paradigme. Beaucoup de personnes ont compris qu’il va falloir changer, ce livre apporte des réponses à ceux qui en ont envie mais ne savent pas comment s’y prendre ni par où commencer. Or nous avons besoin d’eux car le monde ne changera que lorsque chacun arrêtera d’être spectateur ou commentateur pour devenir acteur.

La première page de votre ouvrage mentionne le «devoir d’espérance». En quoi consiste-t-il et quelle est la place de la religion dans votre démarche ? Vivons-nous dans une société désenchantée ?

Le monde qui ne va pas bien et qui vit une fin de cycle va vivre des chaos et des émergences. Nous allons vivre d’ici 2030 la fin d’un modèle ultralibéral qui a pris son essor après la chute du mur de Berlin. Les crises se succèdent depuis les années 2000: finance, climat, insécurité, endettement, pandémie, et pour finir par la crise politique qui traduit la fin du cycle de mutation. Nous pourrions penser que tout est foutu, mais ce n’est pas le cas, tout est lié ! Il nous faut prendre en compte ces enjeux écosystémiques.

Quand tout être humain aurait raison d’être désespéré, nous devons faire émerger un devoir d’espérance, une forme de confiance indéfectible d’où nous saurons faire émerger les solutions et alternatives nécessaires pour l’avenir. La place de la religion appartient à chacun. En ce qui me concerne, mon espérance qu’il y ait une vie après la mort a changé ma vie, m’a redonné goût à l’émerveillement et l’envie de donner du sens à mon passage sur terre.

Nous devons sortir notre société d’un schéma centré sur l’individu car la somme des individualismes ne fait pas le bien commun.
Philippe Royer
Qu’entendez-vous par «économie du bien commun» ?

Notre société a touché les limites de l’intérêt général. Cela fait près de 50 ans que nous prenons des décisions en essayant de satisfaire une majorité de personnes souvent les plus influentes. L’heure est venue d’entendre les cris des pauvres et de réparer notre pays multifracturé. Le bien commun vise à trouver la solution globale positive pour le collectif et pour la dignité de chacune des parties sans exception. L’économie du bien commun réconcilie liberté d’entreprendre, innovation avec inclusion des plus fragiles et respect de la planète. Nous devons sortir notre société d’un schéma centré sur l’individu car la somme des individualismes ne fait pas le bien commun.

L’un des points de départ pour changer d’attitude et devenir co-créateur d’un monde meilleur serait de s’arrêter sur la notion de «gratuité», et de «don». Pourquoi ces notions sont-elles centrales ?

À la fin d’une vie, pour chacun de nous l’essentiel aura été la part de gratuité de notre vie. Nous avons reçu la vie gratuitement, l’amour et l’amitié sont gratuits. La gratuité c’est le supplément d’âme que nous donnons à notre vie. Le secteur associatif et caritatif qui est l’amortisseur des inégalités sociales est basé sur la gratuité. Quand je donne, je reçois plus que ce que je donne car je deviens ce co-créateur, acteur contributeur. Notre société centrée sur l’homo economicus doit s’équilibrer en développant la part de l’homo donator. Il nous revient de quitter la peur de perdre pour trouver la joie de partager. Donner de l’argent est important mais il faut aussi donner de la compétence et du temps, parfois notre bien le plus précieux. Donner du temps génère la rencontre transformante. Je viens pour aider et c’est bien mais je me rends compte que l’autre me donne beaucoup également.

Nous devons aider chacun à quitter son aliénation matérialiste pour reprendre sa liberté et redevenir cette personne humaine qui retrouve le sens de l’émerveillement de la nature, du présent et de la rencontre de l’autre.
Philippe Royer
Vous évoquez l’importance de la «possibilité de s’émerveiller». Pourquoi est-ce essentiel ?

Ce qui est dramatique, c’est que notre société d’hyperconsommation ne rend pas les individus heureux. Comme des drogues, nous sommes en manque de la dose de consommation suivante à venir. De plus cela génère de la jalousie car je trouve toujours quelqu’un qui a plus que moi. Comme surconsommer ne fait pas le bonheur, les personnes râlent et sont blasées ! Elles zappent ! Certaines frustrées et en révolte cassent les biens publics et privés. Nous devons aider chacun à quitter son aliénation matérialiste pour reprendre sa liberté et redevenir cette personne humaine qui retrouve le sens de l’émerveillement de la nature, du présent et de la rencontre de l’autre. S’émerveiller, c’est quitter les rancunes et les remords du passé, c’est arrêter de se projeter dans un avenir anxiogène pour vivre pleinement le présent et rendre grâce de ce que nous vivons.

Il nous faut arrêter de chercher à tout conquérir, il faut consentir à déployer les talents que nous avons reçus.

LE FIGARO …