Santé

Des traitements prometteurs contre l’arthrose

Aucun médicament ne permet aujourd’hui de guérir l’arthrose ni de stopper son évolution. Tous les yeux sont tournés vers la recherche, très active, afin de contrer la douleur mais aussi régénérer le cartilage.

Un escalier de plus en plus difficile à monter, des mouvements de doigts qui engendrent des douleurs, le placard de la cuisine qu’on peine à atteindre en levant le bras: autant de signes qui évoquent l’arthrose. Cette affection concernerait de 8 à 15 % de la population et, précise l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 65 % des plus de 65 ans. Contrairement à une idée reçue, elle n’a rien à voir avec une usure des os. Il s’agit d’une maladie à part entière impliquant des processus biochimiques et enzymatiques qui aboutissent à la destruction progressive des structures des articulations: cartilage, os sous-chondral et membrane synoviale.

Malgré l’immense marché que cette pathologie représente pour les laboratoires, l’arsenal thérapeutique n’a guère évolué depuis des années. Pire, certaines molécules largement utilisées pour apaiser les douleurs arthrosiques semblent peu utiles. C’est, en particulier, le cas du paracétamol: la revue Cochrane publiée en 2019 montre qu’il «n’améliore que très peu la douleur et la fonction physique». Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont prescrits en première intention mais ne conviennent pas à tous les patients, les opiacés doivent être consommés de façon exceptionnelle et les injections d’acide hyaluroniques sont déremboursées depuis 2019. Bref: les traitements sont peu nombreux et laissent beaucoup de patients insatisfaits.
Une maladie mieux comprise

«Les besoins de nouvelles molécules sont énormes», résume le Pr Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris. La recherche est, heureusement, très active, tant sur la compréhension des mécanismes de l’arthrose que sur la mise au point de nouveaux traitements. «On connaît bien mieux cette maladie aujourd’hui qu’il y a 10 ans, assure le Pr Jérémie Sellam, rhumatologue à l’hôpital Saint-Antoine. On sait qu’il existe des arthroses qui diffèrent selon qu’elles trouvent leur origine dans le surpoids, un traumatisme articulaire ou l’âge. Cette distinction entre des maladies différentes laisse entrevoir des prises en charge spécifiques à telle ou telle forme.»

10 millions de Français souffriraient d’arthrose
Société française de rhumatologie (SFR)

Cette meilleure connaissance de la maladie va-t-elle permettre l’émergence de nouvelles thérapeutiques? Certaines pistes suscitant beaucoup d’espoir ont néanmoins débouché sur des impasses. C’est le cas des anti-TNF, une nouvelle classe thérapeutique issue du génie génétique (biothérapie) utilisée avec succès dans plusieurs indications rhumatologiques pour limiter la réaction inflammatoire mais totalement inefficace sur l’arthrose. Idem pour les anti-NGF, des anticorps dirigés contre les facteurs de croissance des cellules transmettant la douleur. L’idée était qu’en les inhibant, le signal douloureux reculerait. Dans les faits, cela fonctionne. Mais, fin octobre 2021, toutes les recherches sur le tanezumab – la molécule faisant l’objet des essais les plus avancés – ont été arrêtées. Une petite quantité de patients développaient, en effet, une arthrose destructrice rapide, autrement dit la destruction de leur articulation s’accélérait subitement.

Autre espoir douché, celui placé dans la sprifermine. Dans les études, ce facteur de croissance des cellules du cartilage (les chondrocytes) permet une reconstitution du cartilage laissant entrevoir un traitement curatif. «Mais malgré cet effet structural, les symptômes restent les mêmes et les malades ressentent toujours autant de douleur», regrette le Pr Sellam.
Un médicament à l’essai

Il existe heureusement d’autres axes de recherche nourrissant l’attente d’un nouveau médicament. Parmi eux, des travaux s’intéressent à la voie de signalisation cellulaire Wnt qui permet la transmission d’un message à l’intérieur d’une cellule pour modifier son activité. Ses déséquilibres jouent un rôle dans le développement de l’arthrose. «Le produit en cours d’étude, le lorecivivint, cible les chondrocytes en les empêchant de fabriquer ce qui va détruire la matrice cartilagineuse», explique le Pr Berenbaum. La phase 3 des essais est en cours pour ce médicament administré sous forme d’injection intra-articulaire et ciblant pour l’heure l’arthrose du genou. Elle doit confirmer les bons résultats observés au cours des étapes précédentes, qui montraient un ralentissement de la destruction du cartilage. Là encore, comme pour la sprifermine, la grande inconnue demeure les effets sur les symptômes, considérés par les agences sanitaires comme un critère indispensable à la validation d’un nouveau traitement de fond. L’idée sous-jacente consiste à retarder la mise en place d’une prothèse et les coûts induits.
La stimulation du nerf vague

Une solution viendra peut-être de la stimulation auriculaire du nerf vague. Ce nerf crânien, qui s’étend jusqu’à l’abdomen en passant par le cou et le thorax, appartient au système nerveux autonome et sert au fonctionnement de nombreux organes internes. Il a pour particularité de produire des effets anti-inflammatoires quand il est stimulé. Une caractéristique déjà mise à profit dans la prise en charge de la migraine, de la colopathie ou de l’épilepsie. En ce qui concerne l’arthrose, l’idée des chercheurs est de stimuler le nerf de façon non invasive, par l’intermédiaire d’un petit boîtier placé au niveau de l’oreille, où se trouvent des terminaisons nerveuses. «Après un premier test chez 18 patients atteints d’arthrose érosive douloureuse de la main, le dispositif est bien toléré et diminue les douleurs, décrit le Pr Sellam qui coordonne les essais sur le sujet. Il faut maintenant confirmer ces bons résultats dans un test randomisé contre stimulation factice.» Les premiers résultats de cette étude, lancée en avril 2021 dans 18 centres, sont attendus fin 2022.


Des injections de cellules souches

Les cellules souches peuvent-elles venir à la rescousse dans la prise en charge de l’arthrose? C’est l’une des pistes de recherche suscitant le plus de travaux. «Depuis 5 ans, plusieurs études contrôlées contre placebo et quelques méta-analyses décrivent un bénéfice de la thérapie cellulaire, au moins sur les symptômes, rapporte le Pr Christian Jorgensen, directeur de l’Institut de médecine régénératrice et de biothérapies. Ils restent pour l’instant modestes, de l’ordre de 30 % sur la douleur et de la fonction. Mais en stimulant les cellules mésenchymateuses basiques, qui peuvent se différencier en plusieurs types de cellules, nous sommes parvenus à favoriser leur différenciation en chondrocytes, et à améliorer d’au moins 50 % les symptômes douloureux.»
Les cellules souches représentent les thérapies de demain. Elles permettront de reconstruire les tissus. «En plus de leur effet anti-inflammatoire et antalgique, elles semblent capables d’améliorer la structure des articulations malades», poursuit le médecin. L’étude européenne Adipoa, qu’il chapeaute depuis le CHU de Montpellier, se charge de constater les effets d’injections dans l’articulation de cellules souches mésenchymateuses prélevées dans les tissus adipeux des patients. Elle se termine fin janvier 2022 et sera suivie quelques mois plus tard par la phase 3.


Des patchs et des bioprothèses

«Nous mettrons sûrement l’accent sur des cellules allogéniques plutôt qu’endogéniques, précise le Pr Jorgensen. Les cellules mésenchymateuses ne seront plus prélevées pour être ensuite réinjectées sur le même patient. C’est un procédé trop onéreux. Elles seront prélevées sur un donneur et pourront ainsi servir à 200 personnes, sans aucun problème de rejet.» Si les résultats préliminaires sont confirmés, l’enjeu consistera alors à disposer de plateformes de bioproduction opérationnelles. Or ces structures très coûteuses n’existent pas actuellement en France. Un seul site est en cours de construction à Montpellier, qui devrait être terminé en 2024.
Les recherches autour des cellules souches se poursuivent en tentant de maximiser leur effet. L’Inserm et le CHRU de Strasbourg développent un patch composé de biomatériaux sur lequel sont insérées les cellules mésenchymateuses qui pourront être posées directement dans l’articulation. «Nous imprimons en 3D une partie du cartilage lésé avec une bioencre dans laquelle on intègre les cellules souches, illustre le Pr Jorgensen. Il sera alors possible de fabriquer des prothèses biologiques.» Les prothèses, en titane, pourraient céder leur place à des nouvelles articulations vivantes.


Toutes les articulations sont touchées

Tous sexes confondus, après 65 ans, le pourcentage d’arthroses détectées varie en fonction de l’articulation. Le cou, les vertèbres lombaires et la main sont les plus atteints.
• Cou: 75 % des cas
Passé 40 ans, l’arthrose cervicale (cervicarthrose) apparaît presque toujours sur les radiographies sans forcément provoquer de symptômes. Mais elle peut rimer avec une raideur de la nuque et un mal de cou (cervicalgie).
• Genou: 30 % des cas
La gonarthrose touche principalement les femmes après 40 ans. La douleur, ressentie sur la face externe ou interne du genou, est surtout déclenchée par l’activité physique, la marche, la montée ou la descente d’un escalier.
• Hanche: 10 % des cas
La coxarthrose se révèle généralement vers l’âge de 60 ans. Les douleurs se manifestent le plus souvent dans le pli de la fesse ou de l’aine, mais peuvent irradier jusqu’au genou, en courant sur le devant de la cuisse.
• Main: 60 % des cas
L’arthrose de la main est fréquente chez la femme ménopausée. Elle se traduit par des douleurs et des déformations au niveau des dernières phalanges des doigts (arthrose digitale) ou de la racine du pouce (rhizarthrose).
• Pied: 10 % des cas
Ce type d’arthrose touche surtout les sportifs de haut niveau (microtraumatismes réguliers), les personnes ayant subi des traumatismes importants (entorses ou fractures) et celles atteintes de malformations (hallux valgus, notamment).
• Lombaires: 70 % des cas
L’arthrose lombaire est l’arthrose rachidienne la plus fréquente. Les douleurs se manifestent tous les jours et empirent au cours d’activités physiques ou lors de postures statiques (debout, assis, à genou) trop longues.