Christo, son interview posthume ou le dernier chapitre d’un utopiste absolu

EXCLUSIF – Le grand artiste du Pont-Neuf et du Reichstag avait reçu Le Figaro début mars à New York. Ultime rencontre avec l’artiste auquel le Centre Pompidou consacre une superbe exposition qui ouvre au public ce mercredi 1er juillet.

«Je réponds à toutes les questions, mais pas de religion, pas de politique, pas d’autres artistes (rires). J’ai 84 ans, presque 85 , j’ai le droit de parler de moi». Ainsi parlait Christo, lorsque nous l’avons rencontré, une toute dernière fois, à New York, dans son studio de Manhattan, le 2 mars dernier. Très amaigri, sous assistance respiratoire, mais chic en col roulé marine et jeans bien repassés, il reprenait littéralement vie en parlant de ses projets faramineux qui ont occupé toute sa vie spectaculaire avec Jeanne-Claude, sa rousse muse disparue en novembre 2009 à New York des suites d’une rupture d’anévrisme.

Christo l’intrépide, Christo l’impatient, Christo le volubile, Christo le rêveur est mort le dimanche 31 mai 2020, à New York, dans son sommeil. Sans avoir le temps de revenir à Paris, ni de voir aboutir son dernier projet, L’Arc de triomphe empaqueté, reporté deux fois et annoncé désormais pour l’automne 2021. Il a été incinéré et, selon ses vœux, ses cendres ont été jetées dans l’océan.
Le Centre Pompidou rouvre demain, mercredi 1er juillet, et le public va découvrir Christo & Jeanne-Claude, Paris! , une exposition superbe sur les années parisiennes et bien sûr le Pont-Neuf empaqueté en 1985, que le confinement, le 17 mars, avait transformée en exposition fantôme. Les œuvres des débuts, entre matiérisme et sculpture, effacement de l’objet initial et travail du drapé par le jeu des cordes et ficelles, explique beaucoup de sa trajectoire d’artiste. Christo à Paris, le documentaire formidable des frères Maysles qui ont suivi l’artiste de 1979 à 1985, en dit beaucoup sur son charme, son culot et son tempérament opiniâtre (Jacques Chirac, Maire de Paris en fut le témoin).

35 ans après, dans l’ultime phase de sa vie, il n’était pas si différent de ce jeune réfugié bulgare, maigre, cheveux courts et lunettes ingrates, qui enveloppa vigoureusement les statues nues du Trocadéro d’un plastique aveugle, les transformant en objets non identifiés.

LE FIGARO .- Pourquoi êtes-vous toujours resté dans ce bâtiment de Canal Street à Manhattan qui est votre QG depuis 1964?

CHRISTO.- Nous n’avons pas de galerie, tout est vendu ici, à cet étage de Show Room ou nous recevons les acheteurs potentiels, les critiques, etc. On utilise tout le bâtiment pour notre travail. On avait deux étages en 1964, on a acheté le bâtiment en 1972. Tous ces bâtiments, construits au XIXe siècle avant la Guerre de Sécession, ont 5 ou 6 étages. On a aussi un très grand «basement» (sous-sol) et mon studio est au sommet. Au-dessus du show-room, il y a un autre étage où sont déposés les livres, où se trouve l’appartement d’amis, utilisé par mes assistants. En 56 ans de vie à New York, nous avons connu 3 ou 4 «black-out», la ville de Manhattan est devenue toute noire. Le dernier grand orage a eu lieu avant que Jeanne-Claude ne meure, nous avons installé un groupe électrogène au gaz naturel qui nous donnait de la lumière dans la ville noire.

Tout naît ici. C’est le cerveau de tout, même si chaque projet est indépendant et engage toute une batterie de spécialistes. La structure de la corporation Christo repose sur moi, Lorenza, mon assistante depuis quatre ans, Jonathan le neveu de Jeanne-Claude, et Vladimir, mon neveu. Nous avons dû monter cette corporation lors de notre projet en Australie, sur les conseils de notre avocat de Chicago. À travers elle, on peut vendre des œuvres d’art – comme ce grand dessin de l’Arc de triomphe, le seul encore disponible, à 1,2 M$, les 13 autres ont déjà été vendus – et acheter ce qui est nécessaire à nos projets. On l’a créée dans l’État de New York et l’État du Delaware. Quand on a un projet ailleurs, en Floride, au Japon, en Italie, cette corporation mère crée une filiale et lui envoie des fonds. On en a créé une pour la France pour servir le projet de l’Arc de triomphe…

https://www.lefigaro.fr/arts-expositions/christo-son-interview-posthume-ou-le-dernier-chapitre-d-un-utopiste-absolu-20200701