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Niels Arestrup et David Lisnard: la culture nous sauvera-t-elle?

La culture est une exigence civilisationnelle, affirme le maire de Cannes David Lisnard. Il dialogue avec le comédien Niels Arestrup, qui assure que l’art lui a sauvé la vie.

David LISNARD. – La France est le pays qui a le plus fermé ses librairies et ses musées. C’est-à-dire que l’exception culturelle a été inversée. Notre pays, qui se distinguait par son exception culturelle, comme nation qui faisait de la culture un acte fondateur du bien commun, l’a au contraire oubliée. Pour nos technodirigeants de l’exécutif, la culture en fait n’est pas essentielle. Ils parlent de culture dans les discours, souvent de façon très emphatique, mais en réalité, quand il faut faire des arbitrages, la culture est très souvent sacrifiée. Et pourtant, elle est une source extraordinaire d’indépendance. Acquérir un capital culturel, partager des émotions artistiques, cela permet d’échapper au déterminisme social et à l’enfermement identitaire, c’est très fort! C’est inconscient chez nos dirigeants, mais quand ils ferment les musées, les bibliothèques et les librairies, leurs enfants, contrairement à ceux des classes moyennes et populaires, ne manqueront pas de biens culturels, d’accès au savoir, d’émotions culturelles, pour de multiples raisons. À mon avis, on ne se rend pas compte à quel point cela peut être vital pour des personnes de milieux populaires, a fortiori issues de l’immigration qui cherchent à s’acculturer ou à s’assimiler. Pendant la période que nous venons de vivre, on aurait pu, on aurait dû, à mon avis, et je l’ai proposé à plusieurs reprises, emmener des groupes scolaires voir des spectacles, de la danse, du théâtre, écouter de la belle musique, et les former. Pour moi, qu’on n’ait pas fait ce genre d’actions, cela traduit une sorte de mépris inconscient, à tout le moins d’indifférence. C’est considérer que la culture passe en deuxième ou en troisième nécessité, et c’est une grave erreur; la France a besoin de spiritualité, de culture, d’émancipation individuelle et de cohésion sociale. Et même mieux: de cohérence civilisationnelle.

Niels ARESTRUP. – Je ne peux parler que de mon exemple personnel. J’étais fils d’ouvriers, mes parents vivaient à Bagnolet, travaillaient dans une usine, et j’évoluais dans un univers qui n’était pas du tout misérabiliste, loin de là, mais qui était fatigant. J’ai le souvenir de la fatigue de mes parents ; fatigue du travail, de se lever à 6 heures du matin, de rentrer à 18 heures. Tout cela sans aucune lumière particulière. Jusqu’à ce que j’entre à l’école et que j’y découvre autre chose. Quand on parle de culture, je pense qu’il importe non seulement de la voir et de l’entendre, mais qu’il faut aussi la faire. Demander par exemple à des élèves d’une classe de participer à un petit événement culturel, d’essayer de voir comment ils pourraient, les uns avec les autres, dessiner quelque chose ensemble, parler, discuter. De ce point de vue, la première mission, me semble-t-il, à moi qui ne suis pas en politique, c’est d’essayer d’induire quelque chose de pluriel à l’intérieur d’un système particulier. À l’école, c’est chacun pour soi, et si vous en avez l’envie et le désir, vous serez premier de la classe et vous recevrez des récompenses. Mais si vous êtes issu d’un milieu défavorisé, vous risquez d’être largué et tout deviendra plus compliqué. Or, quand on accepte l’idée qu’on pourrait, par exemple, apprendre un texte et essayer de le jouer ensemble, là, d’un seul coup, une lumière apparaît – en tout cas, elle est apparue pour moi. Je me suis dit que c’était peut-être aussi pour moi, pas seulement voir, regarder, pas seulement aller au musée et au théâtre, mais faire, s’amuser avec, jouer avec, jouer avec le jeu. Cela m’a sauvé la vie. Je devais entrer dans cette usine, mon père avait réservé ma place, voilà. Et si je n’avais pas eu cet éclairage culturel à l’école- je vous parle là des années 1950, c’était quand même il y a longtemps -, si je n’avais pas eu ça, j’aurais été hors culture toute ma vie, complètement.

https://www.lefigaro.fr/vox/culture/niels-arestrup-et-david-lisnard-la-culture-nous-sauvera-t-elle-20210528

Par Alexandre Devecchio et Martin Bernier

Publié le 28/05/2021 – Le Figaro