Le pouvoir du cerveau

En cette fin d’année 2020 j’ai découvert trois média révélant les pouvoirs du cerveau. Ils traitaient quasiment du même sujet dans des optiques différentes : trois regards sur les états de conscience et les modalités de leurs émergences.


Le premier média est une bande dessinée de Beka Marko Maela :
« Le jour où il a suivi sa valise »
C’est le récit ponctué de petites histoires adaptées de contes ou provenant de la sagesse populaire. En lecture au premier degré, il relate le pouvoir que chacun peut découvrir à réorganiser le contenu de sa « valise » : préjugés, scénario de vie, etc., coloré par une culture d’extrême orient ou bouddhiste pour faire court. Au second degré cette lecture peut préparer à la découverte des deux autres médias et en tout cas entre en résonance avec leurs propos.


Le second média est un livre de Lionel Naccache, chercheur en Neuroscience, publié en octobre 2020 chez Odile Jacob. Le titre illustre une métaphore très riche qui va conduire le lecteur entre neurosciences et cinéma pour expliquer le fonctionnement de notre conscience dans le cas normal ou dans le cadre de pathologies: Le cinéma intérieur
Projection privée au cœur de la conscience.
Notre cerveau est un créateur de fictions. Notre conscience est un film que nous croyons voir en continu alors que c’est une succession d’images animées à une fréquence de 10 images par seconde, alors que les films sont constitués d’images animées se succédant à 24 images par seconde. Au fil des pages le récit révèle la supériorité du pouvoir cérébral à créer la fiction par rapport à la capacité d’un réalisateur de cinéma. Capacités à colorier l’image construite pas les yeux (technicolor), à restaurer les manques (tache aveugle du nerf optique), à nous faire croire que nous voyons le réel, réellement et en complétude, alors qu’il n’en est rien, et bien d’autres à découvrir dans ce livre très agréable et facile à lire.

Le troisième média est un film réalisé par Cécile Denjean en 2015 :
Les pouvoirs du cerveau – Déchiffrer la conscience

« Peu à peu, grâce à l’imagerie cérébrale, les scientifiques parviennent à dessiner les contours de notre conscience. Celle-ci démarre dès les premiers instants de la vie par un amas de sensations : comme les adultes, les bébés perçoivent ce qui les entoure, avec juste un peu plus de lenteur. Puis, vers 2 ans, la conscience de soi s’enracine et ce récit intérieur gagne en complexité. Au fil d’une vie, il devient une « représentation de plus en plus sophistiquée du monde extérieur », comme l’explique le chercheur Stanislas Dehaene. Nourrie de souvenirs et de sensations, notre conscience se mue en une petite voix intérieure personnelle à chacun. »
Ce film nous fait découvrir à sa façon combien notre perception du fonctionnement conscient est une illusion qui nous donne à croire que nous regardons le réel alors que nous visionnons mentalement une fiction. Les périmètres scientifiques décodés dans le film et dans le livre de Naccache ne se recouvrent pas exactement et cependant se nourrissent l’un et l’autre.
Le film est disponible sur Arte.tv jusqu’au 08/06/2021
https://www.arte.tv/fr/videos/…


En prenant un peu de recul sur les propos des deux derniers média nous devons garder en mémoire les points suivants :
a)Recherche en neuroscience sur les modélisations du cerveau. Stanislas Dehaene et Lionel Naccache partagent le même modèle du fonctionnement cérébral : L’ ETGC. L’Espace Global de Travail Conscient part de l’hypothèse qu’il y a une forte corrélation entre l’apparition « d’un état de conscience » et d’un fort embrassement (imagerie numérique) de multiples zones du cerveau (excitation électrique des neurones) induisant des signaux magnétiques à la surface du crâne (capteurs sur un bonnet). Il existe cependant d’autres modèles forts différents du cerveau. Chaque modèle décrit une partie du fonctionnement cérébral, à un niveau de complexité donné : Fonctions hautes (Imaginaire, Imagination, Mythes, Scénarios de vie) Organes et organisation cérébrale, Noyaux, Cellules (Neurones/ Astrocytes), Noyaux cellulaires ( ADN, ARN etc.), Protéines, Etc.
• b)La notion d’embrasement peut être très variable d’un fonctionnement conscient à un autre. Par exemple l’embrasement dans le cas de la lecture d’un livre est fort différent de celui d’un travail à l’écran. N’oublions pas que corrélation ne signifie par causalité mais peut être signature seulement.
c)Le film a un apport pédagogique très différent de celui du livre. Le livre de L.N. foisonne d’exemples et de digressions. Le film ne joue pas dans ce registre. Il évoque très précisément certains fonctionnements normaux ou défaillants de la conscience. Par exemple, il n’y a pas de différence entre un état de conscience en prise avec le réel  et un état de rêve ou encore de rêve éveillé. Entre ces moments « scientifiques » le film anime  des effets émotionnels et de détente. En cela il conduit le spectateur à vivre sur tous les plans mentaux (cognitifs affectifs relationnels et émotionnels) une expérience de pleine attention qui pourrait s’apparenter à une « méditation de pleine connaissance », ou encore à une représentation mentale « complexe » multipolaire et dialogique. Il nous faut donc accepter cette expérience du temps long par rapport au volume d’information scientifique abordé. En cela le film d’une durée de 56 mn nous rapproche de l’atmosphère de la BD décrite comme premier média.
Bien des questions émergent suite à la lecture et à la confrontation de ces trois médias
Je ne peux que vous inviter vivement à les découvrir. Qui décide et ou se décide dans le cerveau ? Où se situe la place du « Je », dans la succession d’images conscientes, dans les processus cérébraux non conscients ?
Jean Claude Serres