[RÉPARER]
Dans des hôpitaux de Lyon, à l’initiative de l’association « L’invitation à la beauté », les patients peuvent choisir une œuvre d’art qui viendra égayer leur chambre et adoucir leur souffrance. Une expérience thérapeutique qui met en avant les vertus réparatrice de l’art.
L’hiver 2019, dans le service de médecine interne du Groupement hospitalier Sud, à Lyon, la fenêtre d’Agnès Piessat ne s’ouvrait pour ainsi dire pas: tout juste pouvait-on l’entrebâiller. Sa capacité respiratoire étant tombée à 19%, elle venait d’être hospitalisée dans cette« ville dans la ville » que constituent les Hospices civils de Lyon, le deuxième CHU de France. À l’âge de 58 ans, une mucoviscidose tardive (maladie des poumons incurable) avait été diagnostiquée. Bien que sous oxygène du matin au soir, Agnès Piessat, esseulée dans sa chambre dont la fenêtre n’ouvrait pas, manquait d’air, terriblement.
Et voici qu’une infirmière était venue la chercher pour venir voir, accrochées aux murs du couloir, une quarantaine d’œuvres d’art originales – peintures, dessins, photographies… -, prêtées pour un an par des institutions ou des artistes lyonnais. Comme dans un musée.
Sauf qu’on était à l’hôpital, dans la lumière des néons, au milieu des blouses blanches et des patients en pyjama. Comme à chacun d’entre eux, on lui avait proposé d’en choisir une, si elle voulait. Agnès avait eu un coup de cœur pour une toile du street-artiste Big Ben, semeur de poésie et de rébellion partout dans les rues de Lyon. Et le tableau avait été mis dans sa chambre, face à son lit.« Ce fut comme si une fenêtre s’ouvrait dans la noirceur de ma maladie.»
Des œuvres pour remèdes
Accompagnées de« prescriptions culturelles» à l’attention de chaque patient – poèmes, musiques… -, les œuvres de cette artothèque hospitalière inédite sont sélectionnées selon des critères précis. « Certains artistes peuvent être « soignants » malgré eux, par le caractère narratif de leur travail, explique Laure Mayoud, la psychologue clinicienne à l’origine de ce projet auquel certains grands musées parisiens veulent désormais s’associer. Le nouvel « espace-temps » engendré dans la chambre peut, chez un malade , susciter un oubli cathartique puissant et réanimer sa capacité de rêver. En cela, ces œuvres sont bel et bien réparatrices. Analgésiantes, sédatives, elles fonctionnent comme un remède», poursuit la fondatrice de l’association L’invitation à la beauté. Qui lance aujourd’hui, sous le parrainage de l’Unesco, et avec des scientifiques et des artistes, des études cliniques en biologie cellulaire, neurologie, épigénétique, afin d’objectiver les effets de la beauté en matière de soms.
« Lorsque nous entrons en empathie esthétique avec une œuvre, nous sécrétons un déluge d’hormones. » Pierre Lemarquis, de l’association L’invitation à la beauté
« Rencontrer la beauté peut avoir un effet thérapeutique, affirme le neurologue Pierre Lemarquis, président de l’association, et qui vient de publier L’Art qui guérit. Lorsque nous entrons en empathie esthétique avec une œuvre, nous sécrétons instantanément un déluge d’hormones. La dopamine impliquée dans l’élan vital, la sérotonine aux vertus antidépressives, des endorphines qui soulagent la douleur, ou encore de l’ocytocine favorisant amour et attachement. Toutes influent sur nos circuits neuronaux. »
Le rapport de l’OMS du 11 novembre 2019 le confirme, qui, des maladies chroniques aux soins intensifs, souligne les effets bénéfiques de l’art sur la santé physique et mentale. Normal, alors, qu’il trouve sa place dans les établissements de soin. « Ces derniers vont s’engouffrer dans cette voie et les années à venir seront fécondes », affirme Pierre Lemarquis.
Une révolution douce à l’œuvre
De ces bienfaits, Agnès Piessat peut attester. Rentrée chez elle au bout de deux semaines, elle avait à ce point retrouvé le goût de vivre grâce au tableau de Big Ben qu’elle s’était renseignée sur une artothèque municipale, s’autoprescrivant son propre traitement. « J’adorais ce tableau,je l’aime encore. Il me manque… »
Il manque aussi à Marion Stefanovice, la cadre de soin qui organisa l’installation de l’artothèque en médecine interne, en janvier 2019. Mutée au service de rhumatologie, elle regrette la plénitude qu’apportaient les œuvres dans le quotidien des soignants. « Pour eux aussi, soumis aux exigences d’efficience, elles sont un support d’évasion. Sans compter qu’elles permettent de tenir un discours autre que technico-médical aux patients, et d’exprimer une part d’humanité souvent difficile à extérioriser. C’est du gagnant-gagnant! »
Elle est encore bouleversée par le souvenir de cette patiente qui, immobilisée pour des plaies chroniques aux jambes, s’était, sous l’effet euphorisant de« son» tableau, remise à marcher. Elle avait ainsi guéri en quelques jours, en améliorant sa circulation sanguine et en réoxygénant ses tissus. « Ce projet, partout oùj’irai,je le porterai!»
« L’art transforme nos patients en êtres soignés, plutôt qu’en objets de soin:’ Fabrice Ormancey, directeur adjoint du Groupe hospitalier Lyon Sud
Dans l’immédiat – et puisque « tous les types de pathologies, d’âges et d’établissements de soin peuvent être concernés», s’enthousiasme Laure Mayoud -, c’est à l’hôpital Femme Mère-Enfant de Lyon Sud qu’une seconde artothèque, en lien avec une « poéthèque », sera mise en place en chirurgie pédiatrique, où les fêtes de Noël s’annoncent tristes. À cause du
Covid, pas de spectacles de clowns ni de visites de joueurs de !’Olympique lyonnais. Mais, dès le printemps 2021, chaque petit patient aura dans sa chambre une œuvre d’art originale qu’il aura choisie. « Faire choisir un enfant, c’est un symbole fort. C’est lui permettre, à lui qui n’a pas eu le choix pour tant de choses, d’être autonome, au moins psychiquement, alors que son corps est abîmé», souligne Hugues Desombre, le chef du Pôle des spécialités pédiatriques.
Et cela rassérène aussi ses parents. « Une révolution douce est à l’œuvre », se réjouit Fabrice Ormancey, directeur adjoint du Groupe hospitalier Lyon Sud, qui osa le premier ouvrir la porte aux« chercheurs de beauté». « L’art transforme nos patients en êtres soignés, plutôt qu’en objets de soin. Et crée un sentiment d’appartenance et de.fierté chez les soignants, engagés dans une démarche innovante. Le tout non seulement pour un coût
modeste, mais en contribuant à la maîtrise des dépenses de santé, puisque la réhabilitation plus précoce des malades participe à la réduction de leur séjour hospitalier. Plus que jamais, la beauté doit être invitée à l’hôpital ! »
L’invitation à la beauté. L’ouverture au monde par l’empathie esthétique, dirigé par Laure Mayoud et Pierre Lemarquis, 176 p., éd. Vrin, 2019.
L’Art qui guérit, de Pierre Lemarquis et Boris Cyrulnik, 192 p., éd. Hazan, 2020.
Source : Le Monde, Lorraine Rossignol