La Devise de Mathusalem

J’AI ETE CE QUE VOUS ÊTES, VOUS SEREZ CE QUE JE SUIS (DE LA FLAMME A LA LUMIERE)

PREAMBULE
Mes TT. CC. SS. et TT.CC.FF. lorsque j’évoque les mots « Homme, Initié, Franc-maçon, Frère, Ainé, Ancien », il s’agira bien évidemment du genre humain, féminin et masculin en unité et égalité.

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« Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
 
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m’a vu ce que vous êtes,
Vous serez ce que je suis. »
(…)
Vous connaissez sans doute, ces stances écrites par le poète dramaturge Pierre CORNEILLE à Marquise Thérèse de Gorla, dite Marquise Du Parc, comédienne qu’il courtisait. 
Stances que l’on retrouve également dans la basilique Santa Maria Novella à Florence, et reprises pour partie dans la chanson de Georges BRASSENS intitulée « Marquise ».
 
Mais peut-être, quelques-uns ignorent encore que la dernière strophe de ce poème est la devise de notre association inter obédientielle qui a vocation à accompagner nos ainé(e)s dans tous les actes de leur quotidien, reconstituant ainsi le chainon de la fraternité qui s’était brisé par leur départ contraint des colonnes, et redonnant la « qualité » de Franc-Maçon que ne devraient jamais perdre celles et ceux que nous sortons de nos mémoires à une vitesse effrayante.  
Loin des yeux, loin de la mémoire…, et trop souvent même, loin du cœur…
« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis ».  C’est une devise qui a plusieurs résonances et dont chacune mériterait une réflexion approfondie : le Temps qui passe ; le sens de la vie ; l’Engagement ; la Connaissance, la Sagesse ; la Transmission….
Mais au-delà, elle symbolise à mes yeux et dans mon cœur la Spiritualité et l’Humanisme, deux valeurs qui sont la colonne vertébrale, la clef de voûte, et l’âme de notre Ordre.

Mouvement à double sens du spirituel au temporel, du vaste domaine de la pensée à l’action qui nous amène à comprendre que notre voyage initiatique ne sera pas uniquement un champ de recherche ou d’expérience intérieure, mais le fondement d’un humanisme authentique, profond, engagé, vécu et non seulement proclamé, afin de ne pas se perdre et cesser de contempler le monde, et nos ainé(e)s en particulier, dans une indifférence coupable.
 
Car si œuvrer à la construction de l’Être dans le Temple est le nécessaire préalable, je dirai même la condition sine qua non, elle n’a pour seule finalité que de donner réalité à son initiation, en poursuivant l’œuvre commencée dans le Temple, conformément à nos engagements et serments « de faire aux autres tout le bien que nous voudrions qu’ils nous fissent ; d’aimer son semblable et travailler sans relâche au bonheur de l’Humanité ». 
C’est là l’essence même de l’initiation. Elle nous rend responsable d’une seule et même famille, d’une seule et même Fraternité, en initiation comme en humanité.
 
Il n’est d’ailleurs jamais inutile de rappeler que « La Franc-Maçonnerie est un Ordre initiatique, traditionnel et universel fondé sur la Fraternité ». 
Ce qui indique sans ambiguïté aucune, que le troisième terme « FRATERNITE » de notre devise est la base, le fondement sur laquelle la Maçonnerie s’est construite, le socle sur lequel elle repose. 
Autant peut-on utiliser le verbe, la rhétorique et l’outil symbolique pour analyser et comprendre ce que représente pour un Franc-Maçon la LIBERTE et l’EGALITE dans cette trilogie républicaine et fraternelle. 
Autant la FRATERNITE ne doit pas à mon sens, « se payer de mots », trop souvent utilisés pour justifier notre difficulté ou notre incapacité, voire notre absence de volonté, à en faire une réalité active dans notre vie d’Homme et d’initié.
 
C’est l’ancien Grand Maître de la G.L.D.F. Pierre-Samuel SIMON acteur de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse avec le Frère Henri Caillavet et Simone Veil qui, dans les années 1970 et de façon très affirmée avait écrit ces propos : « Une Obédience qui n’apporte rien au monde profane est une obédience stérile. 
Elle fabrique des Frères, c’est-à-dire des êtres travaillants sur eux-mêmes afin de devenir des Hommes au sens où l’entend la F.M. 
Mais comme le prévoit et le rappelle notre rituel, si nous restons sur notre propre élévation et notre propre satisfaction, nous n’apportons rien à notre prochain et par conséquent nous ne sommes pas des FF. MM. ». 
Et ce ne sont pas les membres de Mathusalem qui diront le contraire, et moins encore les « accompagnants », dont vous venez d’entendre par notre Soeur Laura le beau et fort témoignage de leur dévouement au quotidien. 
Expression d’une Foi maçonnique chevillée au cœur qu’elles et ils transmettent par des actes de bienveillance et des preuves d’amour, comme une flamme s’allume à une autre flamme.
Mais, mes Soeurs et mes Frères, par votre présence ce jour et votre fidélité à notre utopie commune, chacune et chacun d’entre vous serait légitime à reprendre à son compte les mots du poète latin Terence : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». 
 
« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis ». Comme évoqué plus haut, cette strophe du poème de CORNEILLE, marque également la notion du temps chronophage qui nous échappe inexorablement, à l’image du dieu Janus aux deux visages symbolisant le passage entre l’avant : ce que nous avons été, et l’après : ce qu’inexorablement nous deviendrons entre jeunesse et vieillesse, force et faiblesse, espoirs et regrets. 
Celle de la prise de conscience de notre propre impermanence et conséquemment de l’urgence de vivre pleinement le moment présent en organisant au mieux le court temps de notre passage terrestre et du sens à lui donner. 
 
« Principalement à cette heure que j’aperçois si brève en temps, je la veux étendre en poids. 
Je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie et par sa vigueur de l’usage compenser la hâte de son écoulement. 
A mesure que la possession de vivre est plus courte, il me faut la rendre plus profonde et plus pleine ». (Michel de Montaigne)
 
« J’ai été ce que vous êtes, vous serez que ce je suis ». Un enseignement de base de la loi du Karma des religions orientales qui désigne les actes et leurs conséquences et enseigne qu’un individu est la somme de ses comportements et de ses actes dans ses vies antérieures, et que ce qu’il est, fait ou fera de bien ou de mal dans l’espace-temps de sa vie terrestre conditionnera ses vies futures.
Loi de causalité en parfaite harmonie avec les devoirs moraux et comportementaux de tout Homme et de l’initié(e) en particulier, par son engagement « à appliquer dans ses paroles et ses actes les principes découlant de l’Equerre et du Compas ».
 
« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis ». Un appel à la Sagesse, celle qui « préside à la construction de notre édifice » et nous donne l’intelligence du cœur.
La Sagesse de l’ancien, riche de connaissance et d’amour, qui prend conscience avec humilité au terme de son parcours de vie qu’in fine on ne sait rien ou si peu. 
Sagesse acquise avec le temps et les blessures qui nous permet de comprendre que l’art de vivre en paix est d’accepter ce qu’il nous a été impossible de changer dans ce passé qui ne reviendra plus, mais de continuer à aimer, aimer encore, « même fort, même mal » comme le chantait notre Frère J. BREL, tout au long des années qui nous restent offertes.
 
« Considère cette journée,
Car elle est la vie,
La vraie source de vie.
Dans sa course brève sont encloses
Toutes les réalités de l’existence :
Le bonheur de grandir,
La magnificence du geste,
La splendeur de la beauté.
Hier n’est déjà plus qu’un rêve,
Demain n’est encore qu’une vision.
Mais, aujourd’hui,
Si ta journée est bien vécue :
Tu feras de chaque hier
Un rêve de bonheur,
Et tu feras de chaque demain
Une vision d’espérance…
Veille donc bien sur le jour qui commence.
(Le Salut à l’Aurore)

« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis ». Une invite au voyage qui nous souffle que pour voyager loin il faut impérativement nous détacher de nos tutelles extérieures et intérieures par le voyage hermétique et chaotique de V.I.T.R.I.O.L. 

Voyage éclairant pour l’initié(e) qui, progressant en conscience sur l’échelle initiatique, comprend concomitamment que cette progression se fait de façon inversement proportionnelle à notre inéluctable déclin physique, et par voie de conséquence à l’impératif sacré de la transmission de la Tradition que nous avons reçu provisoirement en legs de nos ainé(e)s, et qu’à notre tour nous devrons remettre avec précaution et patience à celles et ceux qui nous tendent les mains, et à qui nous devrons ouvrir nos bras et notre cœur, en étant à la fois la flamme qui réchauffe et éclaire, et le miroir qui en répand la lumière. 

« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis ». Une strophe sous forme de mise en garde pour ne pas oublier que c’est en regardant les femmes et les hommes de notre passé, porteurs de tradition que nous définissons l’avenir des générations futures, et que dans cette construction jamais achevée, les pierres existantes polies et taillées avec le temps serviront de fondation. 

« Les matériaux dont vous avez besoin pour édifier, vous les trouverez dans les constructions anciennes », souligne avec justesse l’un de nos rituels, s’inscrivant ainsi sous la plume de l’écrivain poète Victor Hugo qui rappelle opportunément que si « dans les yeux des jeunes ont voit des flammes, dans les yeux des anciens on y voit la lumière ».

« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis ». Long voyage de notre vie d’initié fait avant nous par nos anciens, de la Connaissance à l’Amour et de l’Amour à l’Action. 

Ou devrais-je dire, de la Connaissance à l’Action PAR l’Amour, car l’Amour EST action par essence. Aimer c’est agir. Aimer c’est « faire de l’Amour ».

Connaitre– Aimer – Agir pour « réparer le monde » et préparer la descente de la Jérusalem Nouvelle de Jean l’Evangéliste, tout à la fois demeure de Dieu, jardin d’Eden et Terre promise, là où plus personne n’aura ni peur, ni faim, ni froid, là où plus aucun de nos Sœurs et Frères en initiation comme en humanité ne sera laissé sur le bord du chemin.

L’œuvre d’une fraternité réalisée qui reste le but véritable de toute démarche initiatique en substituant au « Deviens ce que tu es » le « Deviens ce que tu fais ».

Sans doute est-ce là l’Art que nous qualifions de Royal. L’Art de vivre d’un « être spirituel faisant des expériences humaines » suivant la pensée du Père Teilhard de Chardin. 

Le chef-d’œuvre du « Bon Maçon » à l’équilibre entre esprit et matière, pensées justes et actions justes.

« J’ai été ce que vous êtes ! Vous serez ce que je suis ». Un pamphlet écrit par dépit amoureux, devenu par l’alchimie de l’initiation et de la Fraternité un poème d’Amour, celui d’une tendresse, d’une bienveillance et d’une reconnaissance infinie adressée aux Sœurs et Frères qui ont éclairé notre chemin, et auront permis que nous mettions nos pas dans les leurs à travers notre quête d’une « origine première » et celle du sens de la vie, de notre vie. 

Mais qui, en contrepartie de ce « qu’ils ont été » nous engagent « à être » à notre tour, et nous obligent « à faire », par l’interaction et l’amplification des devoirs dont ils nous rendent comptable, ici et maintenant, tant vis-à-vis d’eux que de ce monde en déshérence.

Face à ce devoir d’agir et à cette urgence d’aimer, Saint-Paul dans son Epître aux Romains nous met en garde : « Tout le bien que je veux je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas je le fais ». Il nous rappelle sans équivoque que « sans la Charité nous ne sommes rien ». 

En écho à ces paroles, Saint-Jean dans son Evangile nous appelle à l’obligation d’aimer et nous invite à l’obéissance au onzième commandement : « je vous fais un commandement nouveau qui est que vous vous aimiez les uns les autres, et que vous vous entr’aimiez comme je vous ai aimés ».

Mais plus encore que Paul et Jean, l’Apôtre Jacques nous invite à l’aide de la vertu cardinale majeure du courage, à transformer nos paroles en actes : « Sans actes la foi est morte. A quoi bon mes frères, dire qu’on a de la foi si l’on a pas d’œuvres. De même que la foi qui n’aurait pas d’œuvres est morte dans son isolement ».

Alors, reprenant à notre compte l’invite de l’Apôtre Jacques, nous initiés FF.MM. devons comprendre que notre ascèse, notre quête de la Lumière et de la Vérité commencée dès le premier jour n’a de sens que pour aimer et servir ici-bas, sauf à ce que notre vie soit vaine.

Gérard Del…