L’HABITAT PARTAGÉ POUR LES SENIORS

« Elle paie un tiers de moins qu’à l’Ehpad » : comment l’habitat partagé fait baisser la facture des aînés

La colocation gagne du terrain chez les seniors, notamment chez les plus âgés qui y voient une alternative à l’Ehpad. À la clé, la promesse d’un meilleur accompagnement et d’un cadre de vie plus agréable.

Dominique, 74 ans, a pris une décision radicale. Elle a installé Simonne, sa mère de 99 ans, dans une colocation pour seniors. Cette dynamique arrière-grand-mère, un peu dure d’oreille mais qui a toute sa tête, a quitté sa grande maison de Mulhouse en février. Elle vit depuis à Saint-Cloud, dans un studio de 30 m². Lequel est installé dans un vaste appartement de 400 m² où se trouvent sept autres logements ainsi que de grands et coquets espaces collectifs : une grande cuisine ouverte sur une salle à manger, un salon, une salle de télévision, une buanderie, etc. C’est là que Simonne et les autres occupants de cet habitat partagé exploité par la société Cosima donnent -s’ils le souhaitent – un coup de main pour la cuisine, prennent ensemble leur repas, jouent à des jeux de société, papotent, reçoivent leurs proches ou se replient dans leur logement quand ils ont envie d’être seuls. Et comme chacun est chez soi – ils ont signé un bail en bonne et due forme -, ils sont libres d’aller et venir. D’autant que tous ont une montre connectée permettant, s’ils tardent à rentrer, de les localiser. Simonne revient d’ailleurs d’un déjeuner dans un restaurant chinois avec sa fille. « Je me suis transportée d’une vie à une autre et je ne le regrette pas. Je me vois finir mes jours ici », lâche-t-elle, sourire aux lèvres.

Simonne est loin d’être un cas isolé. Dans le sud-ouest de la France, à Blagnac, Élodie, 97 ans, fille d’agriculteurs, veuve d’un artisan et ancienne mère au foyer, a posé au début du mois d’octobre ses valises et quelques-uns de ses meubles dans un habitat partagé de Domani, un autre acteur du secteur. À entendre son fils Christian, Élodie n’a pas été facile à convaincre. « Dans cette génération, ils disent qu’ils n’ont besoin de rien alors qu’ils ont besoin de tout. » Avant de donner son accord et d’obtenir celui des autres habitants de la maison, Élodie a dû passer sept jours sur place en « semaine découverte ». Elle a été emballée. «  Je ne me rendais pas compte de tous ces dangers du quotidien que l’on rencontre à mon âge. Ici, j’ai trouvé la sécurité et l’équivalent d’une famille. »

« Je ne me vois pas du tout passer le reste de ma vie seule »

Un peu partout en France, de plus en plus de seniors font le choix d’une vie à plusieurs, plus ou moins coordonnée : l’habitat partagé. Combien sont-ils ? Il n’existe pas de chiffres consolidés. Des milliers. En tout cas, bien plus qu’il y a cinq ans mais encore beaucoup moins qu’en Allemagne, en Suisse ou encore aux Pays-Bas, pays pionniers en la matière. Il faut dire que ces domiciles alternatifs revêtent des formes très différentes, répondant à autant de demandes : refuser ou retarder l’entrée en Ehpad voire dans des résidences séniors dont l’image ne cesse de pâlir, diminuer le montant de ses dépenses, rompre l’isolement, vivre dans un logement adapté, se rapprocher de sa famille, etc. Cet habitat partagé est très différent de l’habitat regroupé, notamment résidences séniors ou des béguinages très développés dans le nord de l’Europe. On vit véritablement ensemble et non pas les uns à côté des autres avec des services à la carte en sus et parfois tarifés à prix d’or. 

Les plus jeunes des seniors, quand ils n’ont pas de problème de santé, se tournent de plus en plus volontiers vers la colocation. Chacun a sa chambre. Tout le monde a accès aux espaces collectifs — salon, jardin, et cuisine — mais on fait le plus souvent ses courses et sa popote soi-même. Bref, on vit sous le même toit sans être forcément ensemble, comme le font les étudiants. À la clé, des économies substantielles alors que la retraite moyenne est de 1500 euros en France. Des groupes Facebook dédiés ont été créés (comme celui-ci). Et des dizaines d’annonces sont publiées chaque jour. Soit pour proposer une chambre en colocation, soit parce qu’on en recherche une, soit pour créer une colocation à plusieurs. Le site Cooloc met aussi en contact les uns et les autres de façon moins anarchique que sur les réseaux sociaux. 


Selon la localisation — grande ville ou campagne — et la qualité des prestations, il faut compter de quelques centaines à 1000 voire 1500 euros par mois charges comprises dans les villes où le marché de l’immobilier est le plus tendu, à Paris notamment. Martine, 68 ans, 1200 euros de retraite, y réfléchit. Son compagnon n’est pas immortel. « Je ne me vois pas du tout passer le reste de ma vie seule ». Elle a publié une annonce la semaine dernière et a déjà reçu une dizaine de propositions, dont une à 1900 euros par mois pour une simple chambre dans une maison en province… « Certains de mes interlocuteurs sont vraiment très insistants. » Gare aux arnaques ! Avant de signer, il est indispensable de passer du temps avec ses futurs colocataires, de s’imprégner de l’environnement dans lequel se trouve le logement — ville, bourg ou campagne — et d’éplucher le contrat : ce que les charges comprennent (ménage, énergie, wifi, téléphone, etc.), ce que sont les règles de vie de cette colocation. 


Une «troisième voie» pleine d’avenir
À l’autre bout du spectre, « le coliving » ou l’habitat partagé et inclusif s’adressent à des personnes plus âgées qui ne veulent pas aller en Ehpad mais qui ne peuvent plus rester à leur domicile. Voire à celles qui ne veulent plus vivre dans une maison de retraite, comme Simone, 93 ans, qui a plié bagage il y a deux mois pour rejoindre la maison de Saint-Saud-Lacoussière (Dordogne) du réseau CetteFamille. « Son ancien Ehpad était bien jusqu’à ce qu’une ancienne directrice financière soit nommée pour le diriger. Depuis qu’elle a rejoint CetteFamille, ma mère met à nouveau la table, ce qu’elle ne faisait plus depuis longtemps. Elle va bien. Elle est beaucoup plus détendue », raconte sa fille, Pascale. En changeant d’habitat, Simone a aussi fait des économies substantielles, réduisant la facture d’un tiers. « Elle payait 4300 euros à l’Ehpad. Elle paie maintenant 2900 euros. » La note pourrait encore baisser puisque des demandes d’aides sont en cours. 


Adrien de Crombrugghe, responsable des investissements «care impact» à la banque des territoires, filiale de la Caisse des dépôts (CDC) très impliquée sur le sujet, croit dur comme fer à l’habitat partagé, « la troisième voie entre le domicile historique et l’établissement médico-social». Principal avantage : un collectif restreint – de 8 à 10 habitants maximum — où l’accompagnement est forcément plus important et plus stable que dans une maison de retraite où cohabitent une centaine de résidents. « Ils sont moins confrontés au turn-over des personnels», estime Régina Chemello, coordinatrice Domani à Blagnac, qui a elle-même travaillé dans une maison de retraite. Pour Maxence Petit, le patron de Cosima, l’habitat partagé est tout le contraire de l’Ehpad assis sur le modèle de «la maltraitance institutionnelle et organisationnelle». 

 

Le Figaro