Santé

Le patron de Pfizer au Figaro: «Nous allons bientôt reprendre une vie normale»

Albert Bourla annonce un investissement important en France. Il analyse pour Le Figaro la crise du Covid et la révolution en cours dans l’industrie pharmaceutique.

Avec son vaccin et son traitement contre le Covid-19, Pfizer s’est imposé comme le géant de la pharmacie le plus en pointe dans la lutte contre la pandémie. Le groupe va investir plus de 520 millions d’euros en France sur cinq ans. D’une part, il renforce ses capacités de production, via un accord avec Novasep, qui produira le principe actif du Paxlovid, son médicament anti-Covid sur son site de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques). D’autre part, Pfizer investira dans des biotechs françaises et augmentera significativement ses essais cliniques avec des patients français. Albert Bourla est directeur général de Pfizer depuis janvier 2019.

LE FIGARO. – Pourquoi avez-vous choisi la France pour investir?
Albert BOURLA. – C’est une nouvelle France qui nous a ouvert les portes, accueillante envers les investissements étrangers, notamment industriels. Les réformes menées ont rendu le pays très compétitif. De plus, le savoir-faire dans les technologies de santé y est parmi les meilleurs en Europe, avec des scientifiques de grande qualité et des travailleurs hautement qualifiés. L’implication du président Macron a fait la différence. Depuis deux ans, il a rencontré à plusieurs reprises les dirigeants de l’industrie pharmaceutique, nous répétant qu’il voulait positionner la France comme un champion de la santé.


Omicron, plus contagieux mais moins dangereux, annonce-t-il la fin de l’épidémie de Covid-19?

Personne ne peut le savoir, nous avons eu tant de surprises depuis le début de la pandémie. Je ne veux pas être pessimiste, mais nous devrons sans doute vivre pendant des années avec un virus très difficile à éradiquer. Il s’est diffusé dans le monde entier, il peut contaminer à plusieurs reprises la même personne et il a muté au point de nous faire redécouvrir l’alphabet grec… La question n’est pas de savoir si ce virus va disparaître ou non, c’est: allons-nous pouvoir reprendre une vie normale? Et je le crois. Nous allons bientôt pouvoir reprendre une vie normale. Nous sommes bien placés pour y parvenir au printemps, grâce à tous les outils à notre disposition: des tests, des vaccins très efficaces – même contre Omicron, ils protègent des risques d’hospitalisation et de décès – et les premiers traitements à prendre à la maison. Le Paxlovid arrivera fin janvier dans les pharmacies françaises. Prescrit aux personnes à risque diagnostiquées positives, il va changer la donne pour nos systèmes de santé, en désengorgeant les hôpitaux.

Si le virus ne disparaît pas, faudra-t-il des rappels très fréquents?
Jusqu’à Omicron, le schéma de vaccination à trois doses et un rappel annuel était le bon. Ce variant a tout remis en question. Il est trop tôt pour savoir s’il faudra des rappels plus fréquents ou un nouveau vaccin adapté à Omicron. Nous testons plusieurs scénarios, y compris un vaccin ciblant Omicron et d’autres variants. Nous prendrons une décision d’ici à mars en fonction de nos études. Nous serons capables de lancer immédiatement la production. Je ne crois pas que les vaccinations multiples baissent la protection immunitaire. Notre obligation, c’est d’être prêts, avec des vaccins et des traitements.
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En perte de vitesse avant la pandémie, Pfizer est en passe de devenir numéro un mondial du secteur.

En quoi le Covid a-t-il changé le groupe?
Le Pfizer d’aujourd’hui est le fruit du passé. Nous étions un conglomérat de la santé, nous nous sommes recentrés sur la recherche et l’innovation en cédant notre division santé familiale, nos médicaments génériques et nos produits historiques. J’ai augmenté le budget R&D, passé de 7 à 11 milliards de dollars par an, et accru nos investissements dans le numérique. Sans le digital, il aurait été impossible de réaliser les essais cliniques pour notre vaccin si rapidement et de mettre au point le Paxlovid. Nous avons testé 600 molécules grâce au pouvoir de l’informatique et des algorithmes. Avec le Covid, Pfizer hérite d’une immense responsabilité. Quand vous avez joué un tel rôle dans une épidémie, les gens s’attendent à ce que vous soyez aussi bon dans pour d’autres maladies.
Vous avez été le seul laboratoire à découvrir vite un vaccin et un traitement. Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents?
Pour mettre au point un traitement de rupture, il faut beaucoup d’argent, des grands chercheurs et des infrastructures de qualité. Tous les Big Pharma en ont. Ce qui fait la différence, c’est la culture d’entreprise. Chez Pfizer, nous avons bâti une culture du courage, où nous n’hésitons pas à voir grand et nous ne nous cherchons pas d’excuse. Tout au long de la pandémie, nous nous sommes efforcés d’avoir toujours un train d’avance. Alors qu’on met dix ans à concevoir un vaccin, nos chercheurs ont eu 8 mois. Pour la production, l’objectif n’était pas 300 millions de doses, mais 3 milliards. Lorsque vous demandez l’impossible à vos équipes, elles doivent se dépasser et réfléchir «out of the box».


Cette pandémie change-t-elle la donne dans la pharmacie?
Dans les dix ans à venir, la pharmacie va connaître un boom, tiré par la science et la démographie, avec l’augmentation de l’espérance de vie et l’apparition de nouvelles maladies. Notre secteur va vivre une renaissance scientifique, grâce à la combinaison des découvertes de la biologie et du pouvoir de la technologie. Le Covid est un catalyseur et un accélérateur de ces transformations. Cette pandémie a aussi montré l’intérêt des collaborations public-privé et mis en lumière l’accélération du temps réglementaire. Si l’Agence européenne du médicament (EMA) et la FDA, l’autorité sanitaire américaine, n’avaient pas été si réactives, nous n’aurions ni traitement ni vaccin. Cette réactivité doit devenir la règle pour les traitements contre le cancer.
Pfizer s’est allié à BioNTech dans les vaccins: les partenariats sont-ils essentiels à la pérennité des géants de la pharmacie?
C’est une nécessité absolue. De plus en plus complexe et fragmentée, la science n’est plus l’apanage de dix grandes universités et dix grands labos pharmaceutiques. Nous avons un écosystème mondial de milliers de biotechs. Les États-Unis apparaissent comme les plus en pointe, la Chine est juste derrière grâce aux incitations économiques mises en place par le gouvernement. L’Europe lutte pour se faire une place.