Littérature

Baudelaire à la BnF : images et poèmes, les dessous de sa création

Les épreuves corrigées de l’édition originale des Fleurs du mal ne sont ni un aboutissement ni un commencement. Baudelaire a envisagé dès le milieu des années 1840 de publier un recueil de vers sous le titre Les Lesbiennes, avant de privilégier un autre titre, Les limbes, et de trancher en 1855 pour Les Fleurs du mal. Si le premier projet est resté lettre morte, si aucun document ne permet de l’exposer, le deuxième est en revanche illustré à la BnF, grâce au prêt d’un collectionneur privé, par une pièce rare : un ensemble de douze poèmes manuscrits que Baudelaire à envoyés à Théophile Gautier, à la fin de l’année 1851, dans l’espoir de les voir publier dans une revue. Pour Jean-Marc Chatelain, “C’est une pièce majeure dans la genèse du projet de Baudelaire et une pièce remarquable dans la mesure où il n’existe aucun autre ensemble de poèmes manuscrits de Baudelaire.” 

D’autres éléments montrent le mûrissement très progressif des Fleurs du mal, dans leur publication, notamment les éditions qui paraissent d’abord sous forme originale dans des journaux et revues et qui présentent souvent un état différent des poèmes. Parmi les nombreux documents de presse présentés dans l’exposition, Le Messager de l’Assemblée, journal d’information générale et politique qui contient des poèmes sous le titre Les Limbes et la Revue des Deux Mondes qui publie, en 1855, dix-huit poèmes sous le titre Les Fleurs du mal. Un document très important estime Jean-Marc Chatelain : “_C’est la première apparition imprimée de ce titre que Baudelaire avait retenu depuis peu_. En publiant dix-huit poèmes, Baudelaire n’entend pas seulement donner un échantillon des Fleurs du mal, un peu comme il l’avait fait pour Les Limbes auparavant dans la presse. Il entend organiser après ces poèmes, un trajet, une narration suivie. Ce que nous avons là sous forme de presse est donc en réalité une sorte d’image en petit des Fleurs du mal, deux ans avant que l’intégralité du recueil ne paraisse”.  

Deux mois après sa publication, en août 1857, Baudelaire est condamné pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs et à la suppression de six poèmes des Fleurs du malLa seconde édition de 1861 contient de nouveaux poèmes dont la quasi-totalité paraissent d’abord dans la presse. Deux d’entre eux font aussi l’objet d’une publication privée, comme le montre une pièce prêtée par la bibliothèque de la ville de Rouen, un placard que possédait Flaubert. Une pièce unique, souligne Jean-Marc Chatelain : “Un placard, c’est-à-dire une feuille qui est imprimée sur un seul de ses côtés que Baudelaire a fait fabriquer à Honfleur, là où résidait sa mère, en 1859. Et sur cette feuille sont imprimés deux des poèmes qui ne sont pas parmi les moins importants des Fleurs du mal, puisqu’il s’agit de L’Albatros, poème universellement célèbre, et du Voyage, le plus long des poèmes des Fleurs du mal et celui que Baudelaire, lors de la seconde édition des Fleurs du mal, va placer à la toute fin du recueil, celui qui constitue donc la conclusion de tout le recueil. Et on sait combien Baudelaire était attaché à cette architecture de son livre de poésie.” 

Dans ce placard, seul exemplaire complet qui a été conservé, L’Albatros ne compte que trois strophes imprimées et un ajout manuscrit, précise Jean-Marc Chatelain : “Baudelaire, de sa propre main, a écrit une nouvelle strophe, sur le côté un peu en travers et inscrit aussi en marge de ce placard, une petite croix entre la deuxième et la troisième strophe, qui indique l’endroit où elle va venir s’insérer. C’est donc peu de temps après l’impression de ce placard qu’il a choisi d’ajouter ce qui constitue aujourd’hui la troisième strophe de L’Albatros. Nous connaissons l’histoire même de cette strophe par un échange de correspondance avec son ami Charles Asselineau qui a été ensuite son premier biographe. Il avait fait part à Baudelaire de la très grande admiration que lui inspirait cette pièce, en parlant d’un véritable diamant. C’est le mot que reprendra également Flaubert, pour ce poème. Charles Asselineau regrettait que manque à son goût une strophe qui aurait fait plus tableau, comme il le dit, sur la gaucherie de L’Albatros. Baudelaire a donc suivi sa suggestion, pour aboutir à la version définitive que nous connaissons aujourd’hui de ce poème très célèbre.”

Une autre rareté parmi les pièces imprimées et provenant d’une collection privée est l’exemplaire de l’édition originale des Fleurs du mal que Baudelaire a offert à l’une de ses principales muses, à laquelle plusieurs poèmes du recueil sont dédiés : Madame Sabatier, qui animait un salon que fréquentait notamment Théophile Gautier. Cet exemplaire est extraordinaire à plusieurs titres, affirme Jean-Marc Chatelain : “Nous savons qu’une autre muse extrêmement importante de Baudelaire a été Jeanne Duval et que le poète n’a eu avec Madame Sabatier qu’une liaison très éphémère. Le document exposé est ouvert à la page où un dessin de la main de Baudelaire a été glissé par son ancienne propriétaire, un portrait de profil de Jeanne Duval. Madame Sabatier l’a donc conservé comme une relique, dans son exemplaire des Fleurs du mal, en ajoutant de manière ironique, sous le portrait de Jeanne Duval, ces deux mots : son idéal, suivis d’un point d’exclamation.” 

L’histoire des Fleurs du mal est une histoire qui ne s’achève pas, conclut Jean-Marc Chatelain : “Baudelaire est mort en souhaitant publier une troisième édition. Mais nous ne connaitrons jamais l’état qu’il rêvait pour cette nouvelle édition qui n’aurait peut-être pas été non plus l’édition définitive.

Par Benoît Grossin

France Culture