Littérature

La foi plus fort que le mal

Le prêtre Matthieu Dauchez consacre sa vie aux enfants abandonnés de Manille. Dans son premier roman, « Tanael et le livre de vie » (éd. Plein Vent), il raconte les tragédies auxquelles il est confronté depuis 23 ans. A travers une histoire où, malgré « tout », la lumière parvient à percer. Un récit documentaire bouleversant.

Paris Match. Vous êtes l’auteur de plusieurs essais théologiques, pourquoi avoir cette fois, choisi la forme du roman ?

Matthieu Dauchez. Depuis les toutes premières heures à fouler les rues de Manille en 1998, je garde cette conviction chevillée au corps que les plus pauvres, les enfants des rues et les familles des bidonvilles, ont des leçons prodigieuses à nous offrir. Les premiers ouvrages répondaient donc à un désir : laisser parler les plus pauvres. Mais ces essais portaient en eux-mêmes le risque – néanmoins bien modeste en ce qui me concerne – de trop intellectualiser les leçons. Essayant humblement de comprendre les raisons de leur joie au coeur de l’enfer, leur incomparable résilience, ou l’héroïsme des pardons qu’ils donnent, mes mots ne pouvaient refléter entièrement la noblesse de la réponse implacable qu’il donne au mal dont ils sont les victimes innocentes. Ils sont forcément une forme de trahison comparés à la beauté de leurs exemples. Un roman en revanche me permet cette fois de m’effacer vraiment. La trame du roman a un triple avantage : elle raconte d’abord une histoire évidemment, que j’espère émouvante et prenante ; elle donne un témoignage sur la réalité insupportable et inimaginable des rues de Manille ; et enfin, elle aborde des questions plus profondes, existentielles et pourtant simples, qui poussent à découvrir ou redécouvrir la foi que partagent des millions de croyants : croire en un Dieu d’amour… malgré tout !

Lors de mes visites en prison, j’ai vu ces colosses tatoués sur tout le corps, fondre en larmes, envahis par une sincère contrition, comme des enfants submergés par l’émotion.

« Tanael et le livre de vie » raconte l’histoire d’un enfant des rues qui part à la recherche de sa petite sœur, aidé par un « mystérieux » Tanael qui apparaît, disparaît… Cela vous permet de raconter le quotidien de ces enfants abandonnés. Toutes les scènes sont inspirées de la vie réelle probablement, mais la réalité n’y est-elle pas pire encore que dans votre roman ?
Je pourrais effectivement préciser une date et un lieu pour chaque événement du livre. L’ensemble des réalités décrites sont réelles. J’en ai été bien souvent moi-même le témoin oculaire impuissant et terrifié par cet enfer. Seule l’histoire est un fil rouge romancé qui met en scène des personnages, eux-mêmes inspirés de vraies situations. Toutefois vous avez raison : la réalité est bien pire encore, non pas simplement parce que des mots, aussi rigoureux soient-ils, ne peuvent jamais entièrement décrire l’horreur que subissent les plus pauvres, les enfants délaissés, abandonnés, abusés, mais aussi et surtout, parce que les blessures engendrées, celles du coeur, bien plus profondes qu’une plaie du corps, sont un traumatisme que l’esprit humain n’est pas capable d’appréhender entièrement. Se targuer de comprendre le séisme que provoque un abus, quel qu’il soit, c’est s’échiner à mesurer la hauteur d’un iceberg en ignorant la partie immergée. C’est assurément la raison pour laquelle, au fur et à mesure des années passées au service des plus pauvres, je réalise la profondeur des mots de Mère Teresa qui qualifiait son travail de « goutte d’eau dans l’océan ». Les plus démunis vivent des souffrances inimaginables, inacceptables, qui réclament impérieusement notre aide, mais l’abîme intérieur dans lequel leurs coeurs s’effondrent est hors de portée de notre énergie et de notre bonne volonté. Par conséquent, en ce qui me concerne, ma seule espérance est ce Dieu d’amour.