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Vaccination contre le Covid-19 : “Il est intéressant de se dire qu’à 90 ans on peut encore être un pionnier”

Entretien | La campagne de vaccination bat désormais son plein dans les Ehpad et démarre ce lundi auprès de toutes les personnes de plus de 75 ans. Quelles sont les implications pour les “seniors” ? Analyse du sociologue et spécialiste du vieillissement Serge Guérin, professeur à l’Inseec U.

Le rythme de la vaccination contre le Covid-19 va s’accélérer en France à partir de ce lundi 18 janvier. Les personnes âgées de 75 ans et plus mais aussi l’ensemble des “personnes présentant des pathologies à haut risque” vont pouvoir se faire vacciner. Dans les Ehpad, où les premières vaccinations ont eu lieu fin janvier, les résidents, peu nombreux au départ à avoir consenti à se laisser administrer le vaccin, commencent à suivre les “pionniers”. 


Analyse du sociologue et spécialiste des questions liées au vieillissement et à la “seniorisation” de la société Serge Guérin, professeur à l’Inseec U.

Vous avez passé un après-midi à observer la vaccination dans un Ehpad du 20e arrondissement de Paris, le 7 janvier dernier. Comment les “seniors” vivent-ils ce moment ?

D’abord, il faut souligner qu’en France les plus âgés sont aujourd’hui, et de loin, les plus confiants dans la science, dans la médecine et dans les vaccins. Le vaccin annuel contre le grippe est entré dans les habitudes. En moyenne en maison de retraite, 90% des habitants choisissent d’être vaccinés. Un score plus élevé que pour les personnels. 
Face au Covid-19, les plus âgés se savent en risque et cela joue en faveur d’une approche favorable. Et puis, beaucoup se sentent valorisés d’être les premiers et qu’il y ait une telle attention envers eux. Bien sûr, comme dans la société, le débat existe, la crainte face à une solution nouvelle est présente et une partie, minoritaire, est réfractaire par principe. 
Plus largement, signalons que l’arrivée de vaccins est une bonne nouvelle. Or, depuis un an, nous avons eu peu d’informations réjouissantes. 
Dans la maison de retraite du 20e arrondissement, où je me suis rendu, j’ai partagé un moment de convivialité. Il y avait même un goûter pour les résidents qui avaient accepté de se faire vacciner. Il me semble que ce moment de la vaccination peut devenir joyeux et créer du lien. La société en a besoin. Il nous faut retrouver un petit peu d’enthousiasme !

Même dans les Ehpad, la proportion de personnes volontaires est assez faible pour l’instant, environ une sur deux selon les dernières enquêtes. Comment l’expliquez-vous ?


Les pensionnaires des maisons de retraite sont, comme tous les Français, plus ou moins inquiets parce que le vaccin est arrivé très vite. De plus, le principe de l’ARN messager n’est pas compris par tous et demande à être compris. Il est assez explicable que de nombreuses personnes souhaitent voir les effets sur le long terme du vaccin. Sur ce plan, votre point de vue n’est pas nécessairement le même en fonction de votre âge… 
Je me questionne aussi de savoir si l’on peut établir un lien entre la défiance envers le vaccin, et plus largement la science, et la baisse du niveau de connaissance scientifique en France. Une étude publiée fin 2020 mettait en avant que le pays de Pasteur ne forme plus aussi bien ses concitoyens : le niveau de 4ème est devenu celui de 5ème. Il y a une “déchéance de rationalité” pour reprendre le titre d’un livre de Gérald Bronner (Grasset) qui est assez frappante. Cette baisse de compétence et d’intérêt touche aussi les décideurs et le monde médiatique. Nous payons aussi tout ça ! 
Les plus âgés sont néanmoins plutôt favorables au vaccin même si, il est vrai, une partie d’entre eux a besoin de plus de temps pour se décider. Cependant, toutes les études montrent qu’une fois la vaccination lancée il y a un effet d’entraînement. D’abord, les gens peuvent voir qu’au moins à court terme, il n’y a pas de problèmes. Ils comparent aussi avec des pays qui ont menés les campagnes plus tôt et plus fortement. Là aussi, à date, les médias ne se sont pas fait l’écho de problèmes particuliers. L’effet d’entrainement joue aussi : “Si les autres y vont pourquoi pas moi ?”. Au début du premier confinement, j’avais annoncé que si un vaccin arrivait, la grande majorité des Français y serait favorable. En ce début d’année, et même s’il y a eu des sondages négatifs, je reste sur cette position : les vaccins ont éradiqué de nombreuses maladies virales nous faisant oublier le risque. 


Pour le Covid-19, le risque est présent. C’est le retour du tragique. Il faut donc s’appuyer sur les “pionniers”, qui ont accepté en conscience de se faire vacciner. Il est intéressant de se dire qu’à 90 ans, on peut encore être un pionnier.

Comment se passe concrètement le recueil du consentement ? Le dispositif n’est-il pas trop lourd ? Quels sont les enjeux pour les résidents ?


Oui, la démarche mise en oeuvre en Ehpad fut un peu anxiogène : “Si on prend autant de précautions, c’est peut-être qu’il y a un loup”. Elle s’explique sans doute par au moins trois éléments. D’abord la conviction qu’il faut être très prudent face à l’importance des populations dites “antivax”. 
Ensuite, la peur d’être poursuivi en justice (l’effet sang contaminé et l’effet judiciarisation de la société française). 
Enfin, un Etat qui a visiblement un problème d’efficacité et de bureaucratie. Et je crois que la vision infantilisante des aînés irrigue de nombreuses décisions politiques et administratives.

Est-il possible de transformer l’imaginaire des “seniors” et plus globalement celui des Français autour du vaccin ?


Il est vrai que nos modes de vie s’appuient beaucoup sur les représentations et sur l’imaginaire. Ce sont des faits sociaux. Notre imaginaire est parfois en confrontation avec le réel, avec nos perceptions, nos capacités de compréhension… La catastrophe du Covid-19, a sérieusement bousculé nos certitudes… Il n’y a pas de solution miracle. 
Toutefois, il me semble important de rappeler la profondeur historique des vaccins. Il y a des maladies qui ont disparu, récemment même en Afrique, grâce à la vaccination ! Le discours des scientifiques peut nous sortir de nos interrogations, car il repose sur vingt ou trente ans d’expertise, d’études, de travail… 
Les médias, les réseaux sociaux, les croyances, l’incompétence font que la hiérarchie du savoir finit par s’éteindre chez beaucoup : l’opinion d’une personne au coin de la rue ou au coin du net ne se situe par sur le même registre que l’expression étayée par des années d’étude et de travail d’un scientifique spécialisé sur un sujet. 

Nous avons aussi besoin d’exemplarité. Cela peut-être des personnalités des arts ou du spectacle, des élus de proximité qui s’engagent. Plus encore, des sportifs qui ont un rapport au corps et une capacité d’entrainement… 
Enfin, nous devons être pédagogues : expliquer le vaccin en prenant chaque Français au sérieux, sans infantiliser pour aller vers un consentement éclairé et responsable de chacun. Il ne s’agit pas de dire aux gens vous êtes des abrutis, il est même important de reconnaître que rien n’est sûr à 100% mais la vie elle-même n’est pas sûre à 100% ! 

Vaccination contre le Covid-19 : “Il est intéressant de se dire qu’à 90 ans on peut encore être un pionnier”

Comment se passe concrètement le recueil du consentement ? Le dispositif n’est-il pas trop lourd ? Quels sont les enjeux pour les résidents ?


Oui, la démarche mise en oeuvre en Ehpad fut un peu anxiogène : “Si on prend autant de précautions, c’est peut-être qu’il y a un loup”. Elle s’explique sans doute par au moins trois éléments. D’abord la conviction qu’il faut être très prudent face à l’importance des populations dites “antivax”.
Ensuite, la peur d’être poursuivi en justice (l’effet sang contaminé et l’effet judiciarisation de la société française). 
Enfin, un Etat qui a visiblement un problème d’efficacité et de bureaucratie. Et je crois que la vision infantilisante des aînés irrigue de nombreuses décisions politiques et administratives.

Est-il possible de transformer l’imaginaire des “seniors” et plus globalement celui des Français autour du vaccin ?


Il est vrai que nos modes de vie s’appuient beaucoup sur les représentations et sur l’imaginaire. Ce sont des faits sociaux. Notre imaginaire est parfois en confrontation avec le réel, avec nos perceptions, nos capacités de compréhension… La catastrophe du Covid-19, a sérieusement bousculé nos certitudes… Il n’y a pas de solution miracle. 
Toutefois, il me semble important de rappeler la profondeur historique des vaccins. Il y a des maladies qui ont disparu, récemment même en Afrique, grâce à la vaccination ! Le discours des scientifiques peut nous sortir de nos interrogations, car il repose sur vingt ou trente ans d’expertise, d’études, de travail… 
Les médias, les réseaux sociaux, les croyances, l’incompétence font que la hiérarchie du savoir finit par s’éteindre chez beaucoup : l’opinion d’une personne au coin de la rue ou au coin du net ne se situe par sur le même registre que l’expression étayée par des années d’étude et de travail d’un scientifique spécialisé sur un sujet. 

Nous avons aussi besoin d’exemplarité. Cela peut-être des personnalités des arts ou du spectacle, des élus de proximité qui s’engagent. Plus encore, des sportifs qui ont un rapport au corps et une capacité d’entrainement… 
Enfin, nous devons être pédagogues : expliquer le vaccin en prenant chaque Français au sérieux, sans infantiliser pour aller vers un consentement éclairé et responsable de chacun. Il ne s’agit pas de dire aux gens vous êtes des abrutis, il est même important de reconnaître que rien n’est sûr à 100% mais la vie elle-même n’est pas sûre à 100% !