LE TEMPS SEMBLE-T-IL VRAIMENT PASSER PLUS VITE EN VIEILLISSANT ? Professeur Bertrand Fougère pour « Vieux »

Nombreux sont ceux qui , en avançant en âge,  éprouvent une sensation persistante: les journées, les mois, les années filent de plus en plus rapidement. Ce sentiment, souvent exprimé sur le ton de la confidence ou de la surprise, est loin d’être anodin. Il semble toucher tout le monde quelque soit le milieu social, le niveau de l’éducation ou l’état de santé. L’été de notre avance semblait durer une éternité, ponctué d’innombrables découvertes, de jeux interminables et de jours sans fin. Chaque moment portait en lui une densité émotionnelle et sensorielle qui marquait notre mémoire durablement. Aujourd’hui ces mêmes étés nous paraissent s’évanouir en un clin d’oeil.; à peine entamés, ils sont déjà derrière nous.

Ce glissement subjectif du temps, ce raccourcissement de la perception de la durée est l’un des mystère les plus universels de la condition humaine. Il ne s’agit pas d’une impression fugace mais d’un véritable phénomène existentiel, à la croisée de plusieurs disciplines. Car cette sensation est à la fois vécue intérieurement, mesurée par la psychologie, questionnée par la philosophie et partiellement expliquée par les neurosciences et la biologie du vieillissement. Elle pose une question centrale: pourquoi le temps ne se vit-il pas de la même façon tout au long de la vie ? Cette interrogation ouvre sur des considérations profondes  sur la mémoire, l’identité, la conscience, la perception, le rapport à soi, la finitude. Elle touche aussi à notre manière d’habiter le monde, d’investir le présent, d’envisager l’avenir et de relire notre passé.

La perception temporelle, une histoire de mémoire

Notre perception du temps dépend étroitement des changements qui rythment notre vie. Aristote soulignait qu’il n’y a pas de temps sans mouvement et changement. Ainsi notre jeunesse, riche en nouvelles expériences et en apprentissages,  était ponctuée d’événements marquants, gravés dans nos souvenirs avec une intensité particulière. A mesure que nous vieillissons les routines prenez davantage de place. Moins de nouveautés, moins de repères distincts dans notre mémoire, et voilà que notre cerveau compresse le temps écoulé, donnant cette sensation de rapidité croissante.

Par ailleurs, la mémoire joue un rôle essentiel dans notre expérience temporelle. les souvenirs récents peuvent être parfois plus flous en vieillissants, tandis que les souvenirs anciens deviennent très nets. Cette asymétrie affecte notre sentiment de durée : les moments récents semblent passer rapidement car ils laissent moins de traces mémorielles marquantes.

L’influence biologique sur notre sensation du temps 

Sur un plan biologique , notre cerveau lui-même connait des transformation importante avec l’âge. Les études montrent que la vitesse à laquelle notre cerveau traite l’information ralentit progressivement. Cette baisse de la vitesse de traitement neuronal  nous conduit paradoxalement à percevoir le temps comme s’accélérant : chaque événement prend plus de temps à être intégré, laissant l’impression que les moments s’enchaînent plus rapidement qu’ils ne le faisaient auparavant. ..

Dimension psychologique et conscience de la finitude

La dimension psychologique joue aussi un rôle crucial. Quand on est jeune, chaque année constitue une fraction significative de notre existence.  A l’âge de 10 ans, une année représente 10% de notre vie, tandis qu’à 50 ans, ce même laps de temps ne représente que 2%.

La conscience croissante de notre finitude joue également un rôle majeur. Notre perception du temps est influencée par la prise de conscience que le futur se rétrécit et que chaque année écoulée nous rapproche de la fin de vie. Cela peut créer un sentiment d’urgence et une perception d’accélération du temps, alimentés par l’anxiété de ne pas pouvoir réaliser tout ce que nous souhaitons accomplir.

L’apport de la philosophie, temps, devenir et entropie

Etienne Klein, physicien et philosophe, apporte une perspective complémentaire en évoquant la distinction  entre « le cours du temps » et « la flèche du temps » Le cours du temps est neutre, constant et ordonné. C’est cette perception du devenir, cette flèche du temps irréversible, marquée par les transformations qui influencent notre expérience temporelle. Notre conscience de la mortalité qui s’aiguise avec l’âge, renforce cette impression : chaque jour écoulée nous rapproche d’une échéance, rendant votre perception du temps plus aigüe et donc plus rapide.

La philosophie et la biologie se rejoignent également autour de la notion d’entropie concept clé en thermodynamique, décrivant le degré de désordre d’un système. Le vieillissement en augmentant progressivement cette entropie, rend plus évidente la dégradation physique et mentale associée au passage du temps…

Comment ralentir notre perception du temps

Plusieurs solutions existent pour ralentir notre perception du temps :

Rompre la routine : voyager, apprendre de nouvelles compétences, ou même modifier ses habitudes quotidiennes

Les pratiques de pleine conscience  qui invitent à porter une attention soutenue de l’instant présent.

L’importance des interactions sociales et des relations humaines : maintenir une vie sociale active et des échanges réguliers avec ses proches permet d’ancrer solidement des souvenirs émotionnels.

Le rôle préventif de l’activité physique et cognitive : d’un point de vue médical et gériatrique, stimuler cognitivement, favoriser l’engagement dans des activités variées, maintenir les interactions sociales sont autant de stratégies efficaces pour lutter contre ce sentiment d’accélération temporelle, qui peut parfois être source d’angoisse ou de nostalgie.

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